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sont des armes de prix, et il a toujours de magnifiques chevaux qu’il monte avec hardiesse et avec grace. Il a dans toute sa manière d’être de la dignité et du charme, J’aimerais mieux sa vie, malgré toutes les actions irrégulières dont elle est chargée, que nombre de vilaines petites existences de nos villes. C’est un goût dont je demande pardon à Dieu.

L’hôte le plus important du bordj était ensuite un capitaine de zouaves que je nommerai le capitaine Plenho. M. de Plenho est Breton, gentilhomme et chrétien tout comme feu le vicomte de Chateaubriand, et par les élans de cœur, les ardeurs d’esprit, je lui ai même trouvé parfois quelque ressemblance avec René ; mais c’est un René, si René il y a, d’une espèce toute particulière. Que vous dirai-je ? c’est un peu un René de corps-de-garde. Il me touche mille fois plus que le frère d’Amélie, car se course à travers le monde n’est point sujette à maint égarement. Il sait où il va, et marche du pas du soldat vers le but qu’il s’est choisi. Depuis qu’il est parti du pied gauche dans la bonne voie, dit-il toujours, il a été droit devant lui ; mais, comme cette seule expression l’indique, il n’y a pas en lui cette élévation soutenue de langage qui donne aux rêveries de René un si grand charme. Plenho, qui, tout en menant la vie des hommes d’action, appartient par maint côté à l’espèce des songeurs, interrompt parfois ses rêveries par de brusques retours aux plus vives réalités de la vie, que bien des gens peuvent trouver d’un effet fâcheux. C’est une bouche d’or, disait quelqu’un, qui s’est noircie en déchirant des cartouches. Tel qu’il est, il m’a plu, et j’ai eu à transcrire ses paroles le plaisir que j’aurais eu à retracer l’image des beaux sites au milieu desquels il parlait.

Plenho protégeait avec sa compagnie la sûreté du bordj, qui venait de supporter une assez chaude attaque de la part des gens de la montagne. Ses soldats l’adoraient, et le fait est qu’il voyait en eux une véritable famille. Il les aimait, c’est une comparaison bizarre qui vient de lui, comme Mme de Maintenon aimait les demoiselles de Saint-Cyr, et il ajoutait : Je voudrais pouvoir leur servir tous les jours une gamelle des principes qui font l’honnête homme, après la gamelle qui contient les choux et le lard, bien entendu. Tout Plenho est dans cet étrange enchaînement d’idées et de mots.

Plenho m’a dit souvent qu’il avait eu de ces appétits de la mort, comme les reclus en ont dans leurs cellules. Une de ses paroles favorites était encore : Je trouve que la mort me fait faire antichambre trop long-temps. C’est par cette soif ardente, par ce désir immodéré et blâmable peut-être du voyage aux pays inconnus, que Plenho m’a semblé se rattacher surtout aux créations de notre inquiétude, aux héros de nos rêveries, aux Manfred, aux Werther, aux René. Dieu merci, il savait aux heures décisives s’inspirer d’un autre esprit que ces fantômes. Quand résonnaient la fusillade et le tambour, il était tout