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à tribun, et une vieille querelle. O’ Connell, dans une occasion solennelle, a traité M. Ledru-Rollin de charlatan (humbug) ; M. Ledru-Rollin appelle O’Connell un courtisan et le plus lâche des traîtres. C’est au public de juger entre eux. Nous ne ferons qu’une observation sur l’histoire de l’Irlande, telle que l’écrit le réfugié montagnard : c’est que l’époque dite des George, depuis la reine Anne jusqu’à la révolution française, a été sans contredit la période la plus heureuse de l’Irlande, et qu’il n’en est point question dans son livre. Il n’y est pas question davantage des huit ou dix milliards que l’Angleterre a dépensés depuis quarante ans pour nourrir l’Irlande, pour la percer de routes, pour la doter de ports, de canaux et de chemins de fer. Soyons justes envers tout le monde. Si l’Angleterre a fait de l’Irlande le pays le plus pauvre de l’univers, elle expie cruellement son œuvre depuis un demi-siècle. Que fait d’ailleurs ici cette histoire ? Qu’importe par quels moyens l’Angleterre ait acquis l’Irlande, l’Inde et la Chine, et, quel rôle elle ait joué dans les coalitions européennes ? Ces conquêtes ont-elles été pour elle un germe de mort ou un élément de puissance ? Voilà toute la question. M. Ledru-Rollin s’est chargé de démontrer la décadence de l’Angleterre, et quand il consacre un demi-volume à raconter les forfaits de Cromwell en Irlande, de Hastings dans l’Inde, et l’éternelle complainte de Pitt et Cobourg, la critique a le droit de qualifier ce demi-volume de pur remplissage et de n’en pas tenir compte.

Est-il plus juste de dire que l’Angleterre est en pleine décadence, parce qu’elle va perdre ses colonies ? La France n’en a plus. Il est vrai que, suivant M. Ledru-Rollin, l’Angleterre est nourrie par ses colonies. C’est le contraire qui est exact. Le jour où l’Angleterre a renoncé à s’imposer des droits différentiels en faveur de ses colonies, la prospérité de celles-ci est tombée comme par un coup de baguette. Par compensation, l’Angleterre leur a accordé la liberté de commerce avec toutes les nations. Maintenant que la métropole n’a plus aucun privilège dans ses propres colonies, est-il juste qu’elle continue à payer tous les fonctionnaires qui les administrent, la force armée qui y ait la police, les juges qui y rendent la justice, les évêques qui y président au culte ? Il a paru équitable de mettre toutes ces dépenses à la charge des colonies, mais on a commencé par leur offrir en échange la pleine liberté de s’administrer elles-mêmes. Le problème qui s’agite dans le parlement n’est point de savoir comment on se débarrassera des colonies, mais de déterminer quels sont les droits que le gouvernement métropolitain doit se réserver, pour calculer les charges qui doivent aussi lui incomber. On a donc cherché à laisser à la métropole les attributs de la souveraineté, la direction suprême et le soin de la défense militaire, en abandonnant fièrement aux autorités et aux assemblées coloniales l’administration et la police.