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lasse, finissaient ordinairement par l’installer chez eux pour le forcer à s’acquitter par l’achèvement de quelque planche. C’est ainsi qu’il passa près de deux mois dans la maison de Saint-Cyr, et qu’il y grava le portrait de Mme de : Maintenon au sein même de la communauté. Ce portrait, intégralement payé depuis long-temps, n’avançait pas, et, pour en voir la fin, la supérieure, à bout de sollicitations et de reproches, crut devoir s’adresser à l’évêque métropolitain. Elle obtint de lui la permission de faire venir l’artiste dans le couvent et de l’y garder jusqu’à l’entier accomplissement de sa tâche ; mais les choses n’en allèrent ni mieux ni plus vite. Ficquet, ennuyé de sa réclusion, dormait pour abréger le temps et ne touchait pas le burin. Un jour, il fit appeler la supérieure et lui déclara que, dût-il rester éternellement à Saint-Cyr, il ne travaillerait pas dans la solitude où on le laissait, qu’il lui fallait des distractions, et, à défaut d’autres, celle de la conversation des religieuses ; qu’en un mot il ne terminerait le portrait que si quelques-unes de celles-ci venaient chaque jour lui tenir compagnie. On accepta ses conditions. Pour surcroît d’encouragement, des pensionnaires se joignirent plus tard aux religieuses, et vinrent faire de la musique dans la chambre du graveur ; enfin la planche tant attendue allait être livrée, lorsque Ficquet, mécontent de son ouvrage, le détruisit et ne se décida à le recommencer que sur la promesse d’une liberté immédiate et d’une somme d’argent plus forte que la somme déjà reçue. Moyennant cet accommodement, les religieuses de Saint-Cyr arrivèrent à posséder l’image de leur bienfaitrice, et le charmant petit portrait de Mme de Maintenon, le chef-d’œuvre peut-être de l’auteur, les dédommagea des bizarres exigences qu’elles avaient subies.

Ficquet mourut dans la dernière détresse, après une vie toute de désordre et d’expédiens. Une fois cependant il avait pu croire sa fortune assurée : une succession lui était échue ; mais cet espoir d’opulence fut de courte durée. Sans attendre l’accomplissement des formalités légales et à la première nouvelle de l’héritage, il s’était empressé d’acheter une maison de campagne à Montmartre. L’habitation ne se trouvant pas complètement à son gré, il commence par bouleverser le jardin, qu’il élève au niveau des fenêtres du premier étage, afin d’éviter, disait-il, les chutes que sa distraction habituelle lui causerait dans l’escalier ; puis il plante de nouveaux arbres, et les entoure de vitrages ou de châssis revêtus de toiles pour préserver les uns du froid, les autres de l’excès de la chaleur. Pendant ce temps, la liquidation de la succession s’achève ; mais, comme les embellissemens de toute sorte imaginés par Ficquet s’étaient accrus en proportion des jours écoulés, il se trouva en définitive héritier d’une somme à peine égale à celle qu’il devait payer pour les travaux d’installation. Il lui fallut restituer à son ancien propriétaire cette maison ainsi transformée, et, les comptes réglés,