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le graveur se vit, comme devant, obligé de recourir aux libraires et aux marchands d’estampes, qui exploitaient son état de gêne non moins que sa rare facilité. Ainsi, bien avant notre siècle, le monde de l’art comptait à côté des travailleurs modestes les aventuriers prodigues, et à côté des véritables maîtres les excentriques et capricieux improvisateurs.

Le goût de l’art plus agréable que sérieux introduit en France par Watteau, développé par les peintres de genre et par les graveurs formés à son école, était devenu presque général vers le milieu du règne de Louis XV. Les mœurs du temps n’étaient point de nature à combattre une pareille tendance : aussi se manifeste-t-elle de plus en plus libre dans tout le cours de ce siècle, pour aboutir, par une réforme non moins radicale que la révolution politique, au culte exclusif d’une simplicité quelque peu pédantesque et de l’antique étroitement compris. En 1750, c’est-à-dire dans l’année même où naissait David, le futur régénérateur de l’école, le public ne cherchait dans les œuvres d’art rien de plus qu’une amusante distraction. Le style des imitateurs de Lebrun avait fort discrédité le genre héroïque. On était fatigué de ce pompeux étalage d’allégories, de cette tyrannie de la grandeur et de tout ce système de compositions fastueuses ; on se jeta, par un autre excès, dans l’exagération de la grace et dans la passion du joli. Les scènes pastorales ou prétendues telles, les sujets tirés d’une mythologie érotique remplacèrent les hauts faits et les apothéoses académiques ; et s’il n’y eut pas dans les ouvrages nouveaux plus de naturel que dans les ouvrages surannés, il y eut du moins tout autant de talent relatif. À ne parler que de la gravure, les estampes exécutées à cette époque sont pour la plupart des modèles d’esprit et de délicatesse, comme celles du siècle de Louis XIV sont des modèles de science et de sévère beauté. Philippe Lebas, qui a si bien gravé les tableaux des petits-maîtres de l’école des Pays-Bas, Laurent Cars, Larmessin, bien d’autres artistes français du XVIIIe siècle surpassent autant, dans le genre inférieur qu’ils avaient adopté, les graveurs de toutes les écoles, que Nanteuil et Audran les surpassent eux-mêmes dans le genre de l’histoire et du portrait. Certes, il y a loin des Batailles d’Alexandre à des planches telles que le Sacrifice d’Iphigénie et les Travaux d’Hercule, de Laurent Cars, d’après Lemoine ; mais la distance n’est pas moins grande entre les planches gravées par le même artiste d’après Watteau et celles que l’on publia un peu plus tard en Angleterre et en Allemagne. Le portrait de Claude Hallé, que Larmessin présenta à l’académie comme morceau de réception, était un titre beaucoup moins brillant et lui fait aujourd’hui moins d’honneur que ses petites pièces d’après Lancret et Lépicié, Mais, s’il n’y avait plus dans les travaux d’un ordre élevé que les semblans du sentiment et une certaine habileté matérielle,