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figure de M. Pierre Leroux eût exercé sa verve. Ce n’est pas que le mordant satirique de Samosate eût vu clair dans les systèmes, dans la doctrine de l’auteur de l’Humanité : où donc eût-il vu cette doctrine ? comme dit M. Proudhon. Mais il eût aimé les traits de ce plaisant démiurge, et il l’eût peint, j’imagine, dans un de ces beaux jours d’effusion où, moitié philosophant, moitié chantant, l’apôtre radical se livrait à son inspiration fameuse : « C’est l’amour !… etc. » Peut-être l’eût-il placé à côté de ce Mithrobarzanes, magicien par excellence, aux longs cheveux et à la longue barbe, lequel s’était chargé d’initier Ménippe et l’initia effectivement en le plongeant trois fois de l’Euphrate dans le Tigre, en l’armant de la massue, de la lyre et de la peau du lion et en lui recommandant de se nommer à tout propos Ulysse, Hercule ou Orphée. Ce Mithroharzanes me paraît, sauf erreur, très expert en triades. Pour n’être pointant disciple de Zoroastre, M. Pierre Leroux n’en a pas moins des mérites d’initiateur auxquels M. Proudhon n’a point ménagé les traits de son ironie. M. Pierre Leroux caresse aujourd’hui plus que jamais l’idée de l’identité du christianisme et du socialisme ; il en fait le thème de ses homélies journalières où il est question de l’Évangile et de la déclaration des droits, de l’association et du circulus, du gouvernement provisoire et de l’organisation du suffrage universel. Si vous mettez en doute l’identité, on citera Symmaque. Si votre incrédulité n’est point réduite, M. Pierre Leroux mettra de nouveau au jour le factum d’un avocat romain, l’Octavius de Minutius Félix, où les chrétiens, comme nos contemporains socialistes, sont traités d’exécrable secte et de vile multitude, après quoi il sera manifestement et surabondamment prouvé que nous assistons aux merveilles du christianisme naissant dans la persécution. On comprend au surplus le sens philosophique de cette renaissance dont M. Leroux décrit les merveilles il s’agit ici du christianisme de la nouvelle espèce, de celui qui prend pour mot d’ordre : « La révolution est une religion nouvelle ! » Il s’agit du christianisme de Catherine Théot, qui voyait dans Robespierre le fils de l’Être suprême, le verbe éternel, le nouveau rédempteur du genre humain ; c’est là le christianisme de l’humanité progressive. N’êtes-vous point d’avis de reprendre la définition de Diderot : « C’est du platonico-pythagorico-paracelsico-christianisme ? » Encore faudrait-il, je pense, élargir la définition pour qu’elle pût caractériser suffisamment cet étrange amalgame d’illuminisme, de paganisme, de panthéisme, de fanatisme démocratique qui s’est fait jour à travers les fentes de notre société crevassée.

De tels raffinemens de corruption intellectuelle et le facile accès qu’ils trouvent parfois auprès de plus d’un esprit sans défense ont bien sans doute une raison d’être ; ils tiennent à une cause qui n’est point tout entière dans l’illusion produite par une apparence trompeuse. Un trait commun aux cerveaux malades de toutes les époques, je le veux, mais qui est devenu, entre bien d’autres, le signe d’un mal plus général de notre temps, c’est la haine du simple sous toutes les formes, — sous la forme religieuse, politique, philosophique, littéraire. Nous n’avons point de goût à ce qui n’est point empreint d’un sceau particulier d’étrangeté. Il nous faut des singularités, des complications de tout genre, — mélanges affreux, accouplemens bizarres d’élémens qui se repoussent, antithèses répugnantes, — non pour nous convaincre, mais pour nous étonner, non pour satisfaire un intime besoin du juste