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particulière qu’elles cherchent à lui imprimer, n’est autre, en réalité, que la pensée même de Weishaupt, déjà rédigée scientifiquement par Rousseau dans sa théorie sur la bonté essentielle et native de l’homme. Livrez cette pensée à la passion humaine, à l’intrépidité de sa logique : — quelle série de conséquences en verrez-vous jaillir ? Évidemment, c’est que, l’homme étant essentiellement bon et ne devant qu’à ce qui l’entoure les déviations et les dégradations de sa nature, le progrès consistera pour lui à se délivrer par des émancipations successives de tout ce qui le contient, le gouverne on le dirige. Il atteindra de son esprit de révolte l’autorité qui le lie à la société politique, la propriété qui le rattache à la vie sociale, la famille qui l’enchaîne au foyer domestique. Il lui prendra une indicible aversion pour tout ce qui ressemble à un joug, à une loi ou à une gêne. Il n’est point, — hélas ! — jusqu’à ces dames humanitaires, héroïnes de la salle Monsigny ou des banquets Valentino, qui ne réclament pour la libre personnalité et ne mettent au monde des dithyrambes pour le libre sentiment qu’elles commencent par pratiquer. L’idée du châtiment perdra à coup sûr sa vertu, et on verra de coupables fanatiques porter sur leur front l’orgueil de leur crime, parce qu’ils n’auront peut-être attaqué que la société. N’est-il point des hommes pour qui un condamné est un être essentiellement digne d’intérêt et respectable, une victime expiatoire des lois sociales ? Triste symptôme de relâchement moral ! De toutes parts, ce sera ainsi un effort gigantesque et légitime de l’homme pour s’émanciper, pour s’affranchir de tout lien, pour proclamer et asseoir son infaillibilité.

Remarquez que le complément de toutes ces émancipations, c’est l’abolition de l’idée de Dieu, car Dieu est aussi un lieu ; il est le lien des ames et les assujétit aux considérations de l’existence future. Si Dieu attendait l’homme l’issue de la vie pour le juger, le condamner peut-être, où serait la bonté native, l’infaillibilité de l’humanité ? Voilà pourquoi Chaumette et les hébertistes étaient dans la logique de leur temps, dans la vérité révolutionnaire. Voilà pourquoi Anacharsis Clootz n’était point infidèle à l’esprit de la révolution, dont il était un des apôtres, lorsqu’il laissait tomber ces paroles que je ne rapporte pas pour leur éloquence : «… C’est alors, — en 1789, — que je redoublai de zèle contre les prétendus souverains de la terre et du ciel. Je prêchai hautement qu’il n’y a pas d’autre Dieu que la nature, d’autre souverain que le génie humain, le peuple-dieu. Le peuple se suffit à lui-même… La raison réunira tous les hommes. Citoyens, la religion est le seul obstacle à cette utopie ; le temps est venu de la détruire. Le genre humain a brisé ses lisières… » C’est ce qui fait qu’aujourd’hui encore M. Proudhon est le plus conséquent des révolutionnaires au milieu des subtilités goguenardes de ses théories et des étourdissans miracles de sa dialectique. Il embrasse frénétiquement la négation et en développe les mystères destructeurs avec une sorte de poésie mêlée de lueurs ironiques. — Ne cherchez point l’organisation de la démocratie, dit-il aux dictateurs en disponibilité, parce que la démocratie est le contraire de l’organisation, la mort de toute autorité, l’annihilation de tout élément où puisse se fonder un pouvoir, parce que, ou elle n’est rien, ou elle est le règne de l’individualité indépendante et libre. — Ne troublez point votre cervelle à chercher des religions démocratiques, dit-il aux pseudo-prophètes, parce que la démocratie est le développement plein et entier de l’homme, et que les religions sont