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forgées avec quelques mots sur l’égalité et la liberté. Sa mystérieuse et bizarre hiérarchie avait un sens profond ; elle était fondée sur la notion de la myopie humaine qu’il faut ménager et n’initier que graduellement aux splendeurs de l’idée révolutionnaire pure. Weishaupt, il faut le dire, est particulièrement un de ceux qui ont le mieux fait vibrer cette corde du christianisme humanitaire et progressif. N’invoquait-il pas, lui aussi, selon son expression, « notre grand et à jamais célèbre maître Jésus de Nazareth ? » — « Sois un vrai chrétien ! » disait-on à l’initié ; et quelle était la première question qu’on proposait au nouvel adepte ? C’était celle de rechercher « dans les leçons des sages et de Jésus » les traces de ce christianisme universel, supérieur, qui est la religion de l’humanité et de la raison, dont la morale « est l’art d’apprendre aux hommes à devenir majeurs et à secouer la tutelle, » et qui restitue la nature dans sa perfection originaire par l’exercice de ses droits essentiels, la liberté et l’égalité. Merveilleux christianisme, indicible assemblage sous lequel se cache la vraie doctrine sociale et politique que le professeur d’Ingolstadt résume ainsi « L’égalité et la liberté sont les droits essentiels que l’homme, dans sa perfection originaire, reçut de la nature. La première atteinte à cette égalité fut portée par la propriété ; la première atteinte à la liberté fut portée par les sociétés politiques ou les gouvernemens. Les seuls appuis de la propriété et des gouvernemens sont les lois religieuses et civiles. Donc, pour rétablir l’homme dans ses droits de liberté et d’égalité, il faut commencer par détruire toute religion, toute société civile, et finir par l’abolition de la propriété. » Ce sont là les déductions naturelles du christianisme révolutionnaire d’Adam Weishaupt. L’illuminé bavarois avait d’ailleurs des effusions lyriques comme on en pourrait avoir de nos jours. « La semence est jetée d’où doit sortir un nouveau monde, disait-il ; ses racines s’étendent, elles se sont déjà trop fortifiées, trop propagées pour que le temps des fruits n’arrive pas… Écoute et sois rempli d’admiration,… te voilà entre le monde passé et le monde à venir. Jette un coup d’œil,… tu verras la richesse inépuisable de Dieu et de la nature, la dégradation et la dignité de l’homme… » Ne reconnaissez-vous pas là des germes précieux qui fructifieront, un des élémens essentiels de la tradition révolutionnaire ? Que la scène s’ouvre, Weishaupt sera Anacharsis Clootz ou Chaumette ; son esprit animera la légion des déclamateurs vulgaires ; ses traits se reproduiront dans nos figures contemporaines. C’est l’athéisme, direz-vous ; — certainement, c’est l’athéisme, — l’athéisme sous des formes diverses, prenant la couleur chrétienne ou parlant net et franc, selon les tempéramens et les circonstances : la différence n’est ici simplement qu’une question de degrés dans l’initiation à la science suprême.

Je sais bien qu’une portion du jacobinisme et du socialisme modernes repousse ces résultats extrêmes. Ne vaut-il pas mieux se reposer dans la poésie nuageuse d’un spiritualisme douteux comme M. Quinet, imaginer quelque religion nouvelle de l’humanité comme M. Pierre Leroux, ou réciter avec Robespierre quelque hymne déclamatoire à l’Être suprême comme nos radicaux politiques ? Ceci est une confusion réelle, qui tient à une pure inconséquence, et qui se dissipe pour peu qu’on pénètre l’essence de la philosophie révolutionnaire. Cette philosophie, qui est le fond commun et le lien de toutes les écoles, de quelques formes spéciales qu’elles l’enveloppent, quelque originalité