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civile, soit par le domaine privé, s’élevaient à cette époque à plus de trente-et-un millions[1].

Il n’est pas une seule de ces dettes qui ait eu pour cause un placement de fonds à l’étranger. On ne saurait trop insister sur ce fait, qui répond victorieusement à l’une des calomnies les plus opiniâtres et malheureusement les plus populaires qui aient été dirigées contre le roi Louis-Philippe. Jamais sous aucune forme, ni directement ni indirectement, ce prince n’a fait passer un seul écu hors de France ; il avait concentré sur son pays toute sa confiance comme tout son dévouement. Plusieurs fois sollicité de mettre ainsi à couvert une partie du patrimoine de ses enfans, Louis-Philippe s’y refusa toujours avec cette inébranlable fermeté qu’il apportait dans l’accomplissement de tous les desseins qui intéressaient sa conscience ou son honneur.

Un jour surtout, cette résolution fut mise à une épreuve décisive. En 1840, à l’époque de la négociation du mariage de M. le duc de Nemours avec la princesse de Saxe-Cobourg-Gotha, lorsque déjà les premières paroles avaient été échangées, le duc Ferdinand, père de la princesse, demanda avec instances que la dot constituée par le roi à M. le duc de Nemours fût placée à l’étranger. — « Vous êtes dans un pays de révolutions, disait-on au roi, vous régnez sur la nation la plus mobile du monde ; son génie disposé à toutes les témérités, son cœur ouvert à toutes les passions, peuvent l’entraîner un jour hors des voies modérées dans lesquelles votre sagesse a su la maintenir jusqu’ici. La prudence exige que vous preniez des sûretés pour vos enfans, sinon pour vous, contre le retour des mesures révolutionnaires qui, en d’autres temps, ont déjà bouleversé tant d’existences. — Si la France doit souffrir, répondit le roi, nous souffrirons avec elle ; je ne séparerai jamais ma destinée ni celle de ma famille des destinées de mon pays. » Les instances redoublèrent, elles devinrent très vives. Le roi déclara qu’en constituant une dot, il y mettait pour condition absolue qu’elle serait placée sur le grand-livre de la dette publique en France, et que si cette condition n’était pas acceptée, le mariage serait rompu. Ce fut alors seulement que le duc Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha se résolut à accepter cette condition, et à conclure ce mariage qui devait donner à la reine une fille digne d’elle.

De tels sentimens, au reste, n’étaient pas nouveaux chez Louis-Philippe : à dater du jour où il est rentré pour la première fois en France, ce prince, on ne peut trop le répéter, n’a fait à l’étranger aucun

  1. L’administration de la liquidation de l’ancienne liste civile et du domaine privé à laquelle j’ai été complètement étranger, et dont on ignore encore les résultats définitifs, fera bientôt connaître ce chiffre dans son exactitude précise. Jusque-là, c’est au moyen des anciens documens restés dans mes mains que je suis arrivé au chiffre minimum de trente-et-un millions.