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sur un rhythme lugubre quelques vers dans lesquels elle célébrai l’adresse du chasseur, la bravoure et les combats de son fils contre les Abyssins, récit auquel la pauvre mère mêlait l’expression de son désespoir. Quand ses sanglots suspendaient l’improvisation, le chœur recommençait à hurler en dansant autour de la mère du mort. Ici comme dans presque tout l’Orient et comme chez les anciens, la perte d’un membre de la famille, tout aussi bien que la naissance d’un fils, donne lieu à un repas dans lequel les vivans disent adieu à celui qui veut de quitter la terre. Mohammed-Nouraï avait fait tuer dix chameaux pour ce repas funèbre, qui devait commencer à la nuit et auquel il avait convié tout le village. Bien qu’occupé à en surveiller les apprêts, il trouva un moment pour venir nous rendre visite, rien, pas même l’affliction, ne dispensant de l’accomplissement des devoirs l’hospitalité envers l’étranger.

On se souvient qu’après la retraite des maraudeurs d’Oueld-Gaber, Mohammed-Nouraï nous avait quittés au moment où des coups fusil tirés bien loin dans la montagne s’étaient fait entendre. En quelques heures, il atteignit avec ses hommes une vallée que d’autres détonations lui désignaient comme le théâtre de la lutte entre Fokad et les Abyssins. Seulement ces détonations avaient cessé depuis long-temps, ce qui ne fit qu’augmenter ses craintes. En arrivant à l’ouverture cette morne vallée, le chef d’Eylat et ceux qui l’accompagnaient eurent beau crier de toutes leurs forces ; leur cri d’appel demeura sans réponse ; l’écho même se taisait. À force d’errer, leurs pas firent lever une hyène qu’ils ne virent point, mais qu’ils entendaient se lamenter, et qui semblait se plaindre d’être obligée d’abandonner sa proie. Le chef d’Eylat ne put s’empêcher de penser que c’était peut-être le cadavre de son frère qu’elle dévorait, et cette idée le fit frissonner. Un peu plus loin, il butta contre un obstacle et tomba sur un chameau mort. L’animal était tout sellé, et portait encore des objets de harnachement que le malheureux scheikh eut bientôt reconnus ; c’était le dromadaire de Fokad. Les Bédouins poussèrent un cri de rage ; quant à Mohammed-Nouraï, à mesure que la certitude de la mort de son frère pénétrait dans son esprit, une haine furieuse contre les meurtriers s’allumait en lui, et y laissait peu de place pour la douleur. Les recherches continuèrent, mais sans amener d’autre découverte à cause de l’obscurité. Ce ne fut qu’au jour qu’un Bédouin rencontra, à peu de distance du dromadaire, la moitié d’une lame de sabre brisée, et un peu plus loin le corps du compagnon de Fokad. Cet esclave a subi l’horrible mutilation à laquelle l’Abyssin et le Galla ne manquent jamais de soumettre l’ennemi vaincu. Deux coups de lance avaient en outre ouvert sa poitrine. Le terrain d’ailleurs était piétiné, et s’il ne présentait pas de taches de sang, c’est que la pluie les avait lavées. Quelqu’un,