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nous jurerons avec eux qu’ils ont toujours fait convenablement leurs petites affaires, qu’ils n’ont jamais égaré leurs mains dans de mauvaises besognes, ni pipé les dés dans de mauvaises parties ; qu’ils n’ont enfin jamais cessé d’être des modèles de science, de vaillance, de mœurs et de religion. Ainsi donc, non, ce n’étaient pas des gens malhonnêtes ; mais étaient-ce bien d’honnêtes gens dans le noble sens où l’entendait Pascal : « Les honnêtes gens sont ceux qui ne mettent pas d’enseignes ? » Eux au contraire, ils en mettaient beaucoup, et de beaucoup de couleurs, et des plus voyantes qu’il se pût imaginer. Il est même arrivé qu’ils promenaient leurs enseignes en carrosse par des jours de carnaval, et que ces enseignes, qui annonçaient l’endroit où se débitaient les catéchismes quotidiens de la vertu politique et de la vertu privée, n’étaient pas la chasteté toute pure en chair et en os. Il est arrivé qu’ils ont risqué tous les coups de tam-tam pour attirer la foule autour de leur marchandise, et plus encore autour du marchand. Ils ont révélé leur individu en l’accolant tout entier aux paradoxes les plus affectés, en s’incarnant, avec une certaine effronterie qui touche le vulgaire, dans les types les plus compromettans, en faisant d’eux-mêmes ce bon marché que tout le monde n’aime pas à faire de soi, mais que la multitude, haute ou basse, exige de ses courtisans. Pasteurs des peuples, ils se son voués à la conduite du troupeau, bien moins pour le conduire en effet que pour se procurer l’agrément d’écrire en grosses lettres sur un chapeau à panaches C’est moi qui suis le berger Guillot !

Or, maintenant, qu’est-ce qui résulte de la nouvelle loi ? Qu’est-ce qu’elle a divulgué ? Qu’est-ce que le public connaît ou connaîtra de plus de ceux dont il ne connaissait rien ? Peu de choses en vérité. Ils lui ont dit leur nom, parce que la loi l’exigeait ; ils ne lui ont pas dit et ne lui diront pas leur personne, dont le public n’a que faire. Par une singularité assez piquante, les seuls qui se soient particulièrement empressés de se faire connaître ne sont ni plus ni moins que ceux qui étaient déjà très connus. Ils posaient en buste, ils poseront désormais en pied. Qu’est-ce que le public y gagnera, qu’est-ce qu’y gagnera la dignité de la presse ? et le beau chef-d’œuvre que nous devrons à la pudeur méticuleuse de MM. de Tinguy et de Laboulie ! Écoutez le baron de Foeneste, l’homme d’importance de la vieille satire, l’homme des dehors glorieux et de la mine appétissante. Le voilà rasé de frais et vêtu au goût du siècle. Il est galant homme, et il aime à rire ; mais que personne n’en ignore ! il a pris ses grades dans la faculté, il a réussi sur tous les pieds dans le monde ; il a été Mécène, il est taillé pour être Fox ou Canning, il a patronné l’art, la politique et même la morale.

O la grande puissance
De l’orviétan !

Il n’est personne à qui volontiers il ne rende des points et personne d’assez matois pour se permettre de lui en rendre. La France ne lui appartient pas précisément encore, il ne la possède point en son propre et privé nom ; mais il est toujours sage de compter avec lui, aussitôt qu’on débarque sur la terre de France. Du reste, il ne fait rien que par attachement platonique ; il serait trop plaisant de lui en supposer d’autre et de lui prêter l’amour des bagatelles ! Lorsque des fonctionnaires éplorés ont couru soixante lieues de poste pour l’entretenir deux minutes, et pris d’assaut son antichambre pour le supplier de ne