Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appelé à désigner les hommes nécessaires, à décréter les cas de force majeure. Après quoi ils n’ont plus qu’à faire aller la musique et à marcher aux Tuileries sur l’air : Partant pour la Syrie !

Nous ne nous amuserons pas à réfuter la théorie des hommes nécessaires et des cas de force majeure. Il n’y a d’hommes nécessaires que si les hommes ordinaires n’ont pas rempli leurs devoirs ; il n’y a de cas de force majeure que si les forces régulières sont devenues impuissantes. Notre politique à nous, c’est qu’il faut commencer par tâcher d’enseigner aux hommes ordinaires la conduite qui leur sied, et par soumettre les forces régulières à la discipline qui les conserve. C’est une grande tâche à laquelle il est beau de dévouer sa vie, dût-on même la dévouer en pure perte. Si l’on réussit, on n’a plus que faire de s’occuper, même en rêve, des cas de force majeure et des hommes nécessaires ; si l’on ne réussit pas, les uns et les autres se produisent assez vite pour vous avertir de votre échec, et ni les uns ni les autres n’ont besoin de personne pour passer. Aussi ne reste-t-il plus alors qu’à les subir en silence, tant que l’on ne s’est pas rangé parmi les courtisans qui leur cherchent ou leur fabriquent des justifications et des généalogies.

Le résultat des élections espagnoles laisse bien loin, nous l’avons déjà dit, tout ce que l’optimisme ministériel pouvait en attendre, et quoi d’étonnant dès-lors que les adversaires du cabinet Narvaez croient devoir opposer à l’invraisemblance du succès l’invraisemblance des accusations ? Les esprits les plus sûrs n’ont pas su eux-mêmes échapper à cette inévitable réaction des opinions humaines. Nous n’en voudrions pour preuve que le réquisitoire confidentiel que nous adresse, pour notre gouverne, contre la politique du duc de Valence un Espagnol qui a cependant honorablement figuré, comme écrivain, comme député et comme ministre, aux premiers rangs de la politique modérée. Le cadre de la Revue n’admet pas de polémique proprement dite ; mais la lettre dont il s’agit nous paraît mériter par le sentiment qui l’a dictée, par les symptômes qu’elle révèle et par l’estime que nous inspirent le caractère et le talent de l’auteur, une sorte d’exception. Nous allons donc discuter brièvement les observations qu’on nous adresse ; ce sera là d’ailleurs pour nous une occasion naturelle de bien déterminer la position que fait au ministère espagnol son triomphe électoral de 1850.

Selon nous, le premier devoir d’un gouvernement, c’est de savoir durer. Selon l’opposition espagnole, au contraire, le grand tort du cabinet Narvaez, c’est de vouloir trop durer. Le général Narvaez, nous dit-on en substance, n’a pas tiré sa force de lui-même, mais bien du pays, c’est-à-dire de la réaction que provoqua dans l’opinion espagnole le mouvement révolutionnaire de février, et il a outrepassé sa mission en faisant de la politique personnelle, en faisant trop exclusivement concourir à son propre affermissement les moyens d’action que la nation lui avait livrés. — Nous examinerons plus loin la seconde de ces assertions ; mais constatons avant tout qu’elle est singulièrement infirmée par la première. Dire d’un homme d’état qu’il a eu ce rare bonheur de résumer en lui les besoins, les aspirations, les instincts de salut du pays, n’est-ce pas justifier implicitement tout ce qu’aura pu faire cet homme pour s’affermir ? N’est-ce pas transformer sa politique personnelle en politique nationale ? Ceci posé, toute la question se réduit à savoir si le pacte tacite conclu, en face des événemens de février, entre l’opinion et le cabinet Narvaez n’était qu’accidentel,