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Celui-ci sembla hésiter un instant à répondre ; puis il donna l’ordre au soldat qui n’avait pas quitté la cabane d’aller rejoindre ses camarades. Le cabo ne voulait pas sans doute mettre un inférieur dans le secret de ses instructions. Quand nous fûmes seuls :

— Vous êtes un ancien ? dit le cabo au cavalier, qui en effet avait la tournure d’un vieux soldat.

— J’ai combattu tout un jour dans cette plaine, répondit l’inconnu.

— Était-ce à la bataille de Calderon ? interrompis-je. En ce cas, vous me raconterez cette journée.

— Volontiers, pendant le souper. Je commandais une guerrilla volante de deux cent cinquante hommes, et le soir j’étais à peu près le seul de ma troupe. Que de sang, mon Dieu, a coulé au pied de ces collines !

— Nous allons ce soir, reprit le cabo à voix basse, fouiller la barranca del Salto, et, si la réputation qu’a cet endroit n’est pas trompeuse, c’est une assez triste commission : les morts, dit-on, y font la guerre aux vivans.

— Ah ! c’est qu’il s’y est passé de terribles choses ! Il me souvient d’une affreuse nuit… Mais à quoi bon cette perquisition nocturne dans une hacienda ruinée ?

— Cette hacienda cache, à ce qu’il paraît, plus d’un hôte dangereux. Écoutez, nous ne sommes pas de trop mauvais vouloir à l’endroit de l’honorable confrérie des salteadores : il faut que tout le monde vive ; mais il est deux classes d’hommes que les voleurs doivent respecter, les prêtres et les militaires. Or, il y a quelques jours, on a poussé l’audace jusqu’à dévaliser tout près d’ici son excellence le gouverneur de Guadalajara, en compagnie de son chapelain ; c’était profaner d’un seul coup tout ce qu’il y a de respectable.

— Et sait-on qui a commis ce double sacrilège ? demanda le vétéran.

— Qui cela peut-il être, si ce n’est cet endiablé d’Albino Conde ?

— Albino Conde ? le fils du fameux guerrillero qui a rendu tant de services dans la guerre de l’indépendance ?

— Lui-même. Un des hommes de l’escorte du gouverneur l’a reconnu malgré son déguisement, et c’est lui que j’ai ordre de prendre mort ou vivant à l’hacienda del Salto. Seulement, j’ai trouvé prudent de cacher à mes hommes le but de notre expédition, car je sais par expérience qu’Albino a des amis partout.

— Et on croit le rencontrer à l’hacienda del Salto ?

— C’était là aussi, vous le savez, que se réfugiait son père, lorsqu’il n’était encore que contrebandier, et, entre nous, on m’a promis les épaulettes d’alférez pour la tête du bandit.

— Prenez garde, seigneur cabo, dit l’étranger, qui depuis quelques momens était devenu sérieux ; prenez garde, j’ai vu, moi qui vous parle, d’étranges choses à la barranca, et Dieu me préserve de jamais