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la ferme. Il s’était expliqué alors le chagrin secret de la veuve, et il avait fait entendre à Marie qu’il ne pouvait se trouver en face du Vendéen sans que des dangers fort grands n’en résultassent pour la vie ou la liberté de son frère, puisque le devoir du soldat serait alors de l’arrêter.

Marie avait reconnu cette cruelle nécessité ; elle en avait versé quelques larmes, puis le nouvel élan de joie et de jeunesse qui emportait son ame sur ses ailes avait repris le dessus, et lui avait fait oublier tout le reste. Renée, elle, n’avait pas négligé cet avis ; elle l’avait fait parvenir à son fils par un de ces mille moyens de communication qui existent toujours entre les habitans d’un pays et leurs frères en armes, et qui rendent une guerre de partisans si longue et si fatale aux troupes régulières. Tout en sachant gré à Étienne de cet utile conseil, elle lui en voulait sourdement de mettre ainsi, quoique malgré lui, une barrière insurmontable entre elle et son fils.

Un jour, Étienne vint la trouver au bord d’une mare alimentée par un petit ruisseau où elle était à laver. — Citoyenne, dit-il en s’asseyant à quelques pas de la veuve, sur une grosse pierre entourée d’iris et de joncs, je reviens de la ville, et j’ai une nouvelle à vous dire.

Renée se tourna vers lui, le cœur palpitant et le visage pâle. — Oh ! n’ayez pas peur, dit-il avec un triste sourire, ce ne sera pas pour vous une mauvaise nouvelle… On m’a commandé pour être de garde en ville ; je partirai ce soir, et je ne reviendrai qu’après demain.

— Mais… vous reviendrez ? demanda Renée. — Il y avait dans l’expression avec laquelle ces paroles furent prononcées quelque chose qui serra le cœur du pauvre soldat ; il persista pourtant dans son projet.

— Oui, répondit-il avec un soupir ; mais je ne serai ici ni ce soir ni demain ; je ne serai de retour que mercredi assez tard…. Si pendant ce temps quelqu’un de vos amis venait vous voir…. ne lui dites pas de mal de moi.

Renée comprit alors l’intention d’Étienne ; mais elle vit en même temps qu’elle ne devait pas lui exprimer trop clairement sa reconnaissance.

— Merci, citoyen, dit-elle, tu as un bon cœur ; nous n’oublierons pas ce que tu fais pour nous.

Étienne releva vivement la tête et fixa sur Renée des yeux qui rayonnaient de plaisir. Ces simples paroles lui semblaient une récompense plus grande qu’il n’eût osé l’espérer ; il les emporta dans son cœur comme un trésor, et son heureuse imagination en fit la base de plus d’un beau rêve d’avenir. Renée se hâta de faire dire à Jean qu’il pouvait, sans danger, venir à la ferme. Aussitôt que l’obscurité bien complète put rassurer le Vendéen, on entendit le signal convenu, et le fils se trouva dans les bras de sa mère. Dire le bonheur de cette réunion