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je reviendrai… et je vous retrouverai toujours la même pour moi ? ajouta-t-il plus bas.

— Toujours ! murmura Marie.

— Merci, dit-il encore en la regardant. Les yeux de Marie rencontrèrent les siens, et le visage du jeune soldat s’illumina d’un rayon de bonheur.

— Allons, dit-il presque joyeusement, il faut partir !

Il alla chercher son havresac, le mit sur ses épaules, et fit quelques pas vers la porte.

— Adieu, répéta-t-il encore en se retournant et en souriant aux deux femmes. Au revoir, tôt ou tard.

Et il partit, le cœur consolé, avec l’espérance pour compagne de route et l’amour pour soutien contre les craintes de l’avenir.

Alors commença pour la mère et la fille une de ces veilles terribles où l’inquiétude prend toutes les formes et devient plus cruelle que la douleur même. Comptant les secondes par les lourds battemens de son cœur, la mère sentait presque matériellement passer ce temps qui amenait le danger pour son fils chéri ; ses lèvres murmuraient une prière, et son oreille, attentive au moindre bruit, cherchait à deviner, dans le silence terrible de la nuit, la rumeur éloignée de la lutte sanglante qui se préparait. Tout à coup un sourd retentissement fit vibrer l’air subtil de la froide matinée, il frappa d’une terreur profonde le cœur palpitant de Renée : c’était le son lointain d’un coup de fusil ; un autre y succéda, puis un autre et un autre encore. Les deux femmes se levèrent comme par un seul mouvement ; elles coururent à la porte, l’ouvrirent et écoutèrent. Qui pourrait peindre leur mortelle inquiétude pendant que, trop loin pour pouvoir juger les phases diverses du combat, elles suivaient avec une anxiété toujours croissante le bruit plus ou moins vif de la fusillade, et cherchaient à y deviner le résultat probable de la bataille ? Muettes et frissonnantes, sous l’impression mortelle du verglas qui couvrait autour d’elles la terre d’un linceul perfide et suspendait à leur toit ses longues aiguilles tranchantes, elles comptaient les minutes qui s’écoulaient, et enfonçaient leurs regards voilés de larmes dans le crépuscule éclairci déjà par quelques rayons du jour ; chaque coup semblait à leurs cœurs tremblans le signal de la mort de ceux qu’elles aimaient. Absorbées par cet intérêt tout-puissant, elles ne pensaient pas à elles-mêmes ; elles ne se disaient pas que leur propre sort se décidait peut-être en ce moment : l’image de son fils bien-aimé occupait seule la pensée de la mère, et Marie, déchirée par une double inquiétude, aurait senti son cœur moins courageux défaillir en elle, si l’espérance n’eût éloigné parfois les sombres images qui se dressaient devant son imagination ébranlée.

Combien d’heures se passèrent ainsi, elles n’auraient pu le dire.