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retomber le lourd couvercle du coffre, et resta debout, frissonnante, les yeux hagards, fixés sur la montre, que tenaient à peine ses mains agitées d’un tremblement convulsif. Tout à coup elle s’élança vers le lit, saisit brusquement le bras d’Étienne sans penser davantage à l’état où il se trouvait, et, lui présentant de l’autre main le fatal bijou, elle lui dit d’une voix rauque et entrecoupée :

— D’où vient ceci ?… D’où tenez-vous cette montre ?… Qui vous l’a donnée ?… Où l’avez-vous prise ?…

— Ceci ?… dit Étienne en soulevant péniblement ses paupières affaiblies et cherchant à rassembler ses idées, ceci ?… Ah ! c’est la montre d’un pauvre brigand qui m’a chargé de la rapporter à sa mère.

— Et… où est-il, ce brigand ?… Est-il blessé ?… en fuite ?… est-il…

Elle s’arrêta, ne pouvant prononcer le mot qui se présentait à sa pensée.

— Il est mort ! dit Étienne d’une voix faible.

— Mort ! répéta Renée avec un cri perçant ; mort ! redit-elle encore en fixant sur Étienne des yeux secs et flamboyans et secouant sans pitié le bras inerte du blessé ; misérable ! c’est toi qui l’as assassiné et volé !

Étienne poussa un sourd gémissement, mais la douleur même lui redonna un instant d’énergie. Il se souleva en tournant vers Renée un regard d’où l’indignation écartait les voiles de la mort. — Je ne suis ni un pillard ni un assassin, dit-il. J’ai tué ce brigand, mais en me défendant, et je n’aurais pas pris sa montre, s’il ne me l’avait pas remise lui-même entre les mains.

— Tu l’as tué ! tu l’as tué ! répéta Renée en reculant d’un pas ; c’est toi qui me le dis ! Tu l’as tué !… Et sais-tu bien qui tu as tué ? ajouta-t-elle en se rapprochant.

— Non, répondit Étienne, et il se laissa retomber de faiblesse sur le lit. Je vais vous raconter ce qui s’est passé, si vous le voulez, mère Renée, continua-t-il.

— Mère Renée !… murmura à voix basse la malheureuse femme, et quelque chose comme un sanglot monta à son gosier serré. — Parle ! dit-elle ensuite en se penchant sur Étienne comme sur sa proie.

— Voilà… dit le jeune homme. Mes idées ne sont pas bien nettes, et j’ai peine à parler ; pourtant je vais tâcher de vous dire la chose en deux mots. Nous étions tous débandés, et je me sauvais dans la direction d’un petit taillis, lorsque le maudit verglas me fait glisser et tomber. J’essayais de me relever, quand un brigand sort du bois et s’élance sur moi. — Ah ! bleu, me dit-il, ton compte est bon. Je me retourne, je le vois m’ajuster presque à bout portant ; mais tout à coup, je ne sais pourquoi, au lieu de tirer, il reste à me regarder et relève son fusil. Le mien était armé, je tire, et il tombe. Alors, reprenant ma course, j’allais sauter par-dessus le brigand, lorsqu’il m’arrête par ma capote ;