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je le menace de lui passer mon sabre au travers du corps. — Fais-le si tu le veux, me dit-il, ça n’est pas nécessaire, tu m’as tué ; mais je ne t’en veux pas. Tiens, prends ceci et porte-le à ma mère. Il me tendait cette montre ; je la pris, il murmura encore quelques mots, et rendit l’ame. Je mis la montre dans ma capote ; mais j’avais perdu du temps, et, avant d’atteindre le bois, je reçus dans la poitrine cette balle qui pourra bien m’envoyer rejoindre le pauvre brigand.

Étienne ferma les yeux en ce moment, car il sentait ses forces l’abandonner de nouveau. Renée restait penchée sur lui ; ses lèvres pâles s’agitaient involontairement, ses yeux injectés de sang se fixaient avec ardeur sur le meurtrier de son fils, et ses mains tremblantes, jointes et serrées convulsivement, semblaient incruster leurs doigts bleuâtres les uns dans les autres. Elle le regarda long-temps, sans pleurer, sans parler, presque sans respirer. Des idées confuses s’agitaient dans sa tête en feu. La vengeance s’allumait dans son ame, et de sombres, de sanguinaires désirs montaient du fond de son cœur. Tout à coup elle étendit ses mains tremblantes sur le jeune homme immobile, un sourire effrayant contracta ses lèvres, et elle se pencha tellement que son souffle agita les cheveux humides du pauvre soldat. Pendant un moment, — un terrible moment ! — elle resta ainsi ; puis, couvrant sa figure de ses mains, elle poussa un cri sauvage, et s’élança hors de la maison.

Le givre tombait glacial et piquant comme une pluie d’aiguilles ; le jour, assombri par les nuages gris qui couvraient le ciel, tirait à sa fin ; le vent fouettait les branches sèches des taillis et des haies, et agitait les vêtemens humides de la malheureuse mère, mais elle ne sentait, elle ne voyait rien de tout ce qui se passait au dehors. Une tempête bien autrement redoutable grondait au fond de son cœur, et menaçait d’éteindre sa raison ; elle courait par la campagne, sans suivre de chemin tracé, sans tenir de direction fixe, emportant avec elle cette pensée brûlante, que son fils était mort et que le meurtrier était en son pouvoir ! Et le vent n’effaçait pas ce souvenir amer ; le froid qui glaçait son corps ne pétrifiait pas son cœur déchiré : rien, rien au monde ne soulageait son affreuse douleur, ni la fatigue physique, ni la souffrance, ni l’agitation d’une course sans but. Elle finit par épuiser ses forces, et tomba au pied d’un arbre, dans un champ éloigné, sans savoir où elle était.

Alors, s’affaissant sur elle-même, elle appuya son front sur ses genoux tremblans, entoura sa tête de ses bras, et, passant tout à coup d’une agitation sans but à une immobilité sans repos, elle demeura raide et glacée, comme si déjà elle avait rejoint son bien-aimé fils au-delà de ce monde. Hélas ! sous cette apparence de calme comme au milieu de sa course insensée, elle était brisée par les mêmes