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souffrances, et les larmes, qui ne pouvaient monter à ses yeux, retombaient sur son cœur en flots amers….. Puis, les ressorts trop tendus finirent par perdre de leur rigidité, et des sanglots déchirans, des sanglots de mère, ébranlant cette masse inerte, vinrent indiquer une nouvelle phase de cette douleur éternelle qui avait pris possession de son ame. Au bout d’un instant, ses larmes s’arrêtèrent de nouveau ; elle releva la tête et appuya ses mains sur sa bouche pour étouffer les paroles incohérentes qui s’échappaient de ses lèvres : le vent sécha les sillons humides tracés sur ses joues ; ses yeux rougis, mais secs maintenant, se fixèrent devant elle avec une expression étrange, et elle sembla s’abandonner à une sombre préoccupation, à un sinistre espoir. Faut -il le dire ? la pensée de la vengeance, cette pensée qu’elle avait cru fuir en s’éloignant de sa maison, s’emparait encore de son cœur : vie pour vie ! sang pour sang ! Un éclair de joie sauvage, en frappant le meurtrier de son fils, en éteignant ce regard qui avait guidé la balle homicide, en glaçant cette main qui l’avait envoyée, telles étaient les pensées qui traversaient l’esprit délirant de la malheureuse mère, et qui suspendaient pour un moment la souffrance aiguë de son cœur.

Parfois, dans les plus nobles âmes, l’instinct farouche et irrésistible de la nature domine un instant toute autre voix, et le cœur fort et ardent éprouve avec plus de violence les infernales tentations de la vengeance et de la haine ; mais il possède aussi un pouvoir plus grand pour y résister. La foi, avec ses promesses divines, vint enfin au secours de la malheureuse mère ; elle s’éleva simple, pleine, entière, comme une étoile bienfaisante, au milieu du tumulte de ce terrible désespoir. La joie sanglante de la vengeance pâlit devant l’espoir d’une réunion éternelle avec l’objet de ses regrets ; peu à peu sa tête s’abaissa avec un mouvement plus résigné, ses mains se joignirent moins convulsivement, et la mère aux instincts sauvages redevint une humble chrétienne dont le cœur dompté se détourna du sombre désir qui l’avait un instant bouleversé. Cependant le combat fut terrible. La pensée de retourner chez elle, de revoir le meurtrier de son fils, lui faisait éprouver des tressaillemens haineux qui l’effrayaient elle-même. Elle resta donc long-temps ainsi, priant et pleurant, étouffant, sous son tablier qu’elle avait jeté sur sa tête, les imprécations et les cris de douleur qu’elle ne pouvait retenir ; mais elle combattit, elle vainquit, et, lorsqu’elle se releva, le calme d’une résolution forte remplaçait sa rage insensée.

Renée reprit à pas lents le chemin qu’elle avait parcouru quelques heures auparavant avec une rapidité si folle. Le jour avait presque entièrement disparu ; le soleil, déjà au bord de l’horizon, était complètement caché par des nuages gris superposés les uns aux autres