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et aux démonstrations guerrières dont le président de la république a trop accru l’étalage, et aussi à la sollicitude jalouse dont la commission parlementaire a peut-être trop aggravé les rigueurs, c’est d’avoir éclairé tout d’un coup d’une lueur fatale le triste mot de la situation. En ces situations qui se ressemblent toutes, les armées sont toujours les instrumens de succès qu’on se dispute ; les uns veulent les prendre, les autres ne les veulent pas céder. Chacun apporte ses argumens pour ou contre jusqu’à la minute où l’on fait fi des argumens, parce qu’on a les bataillons.

Les circonstances sont d’ailleurs enchevêtrées de manière à étrangler toutes les solutions. Le président de la république veut, et ne s’en cache pas, que ses pouvoirs lui soient continués. Ayant, à vrai dire, été nommé du commun accord de ses électeurs en haine de la république et de la constitution, il est assez difficile qu’il s’adjuge le mandat spécial de protéger la constitution et la république. Il a cependant protesté en mille rencontres de son aversion pour les surprises, de sa ferme intention d’attendre tout du cours des choses et de ne précipiter rien. Nous aimons à l’en croire sur parole, mais nous appréhendons les impatiences, et nous comprenons qu’elles ne lui manquent pas. Il est, parmi ceux qui ont le plus aidé à son élection, des dévouemens qui ont le droit et même le devoir de se tourner vers une autre étoile que la sienne ; le président n’en ignore pas. Ces dévouemens, restés fidèles aux dynasties tombées, se sont assurément créé un embarras le jour où ils se sont mis au service du représentant d’une troisième dynastie ; leur justification est de s’être uniquement prêtés et de s’être prêtés dans la seule vue du bien public. Il est très vraisemblable qu’on n’eût point alors refusé leur concours, même offert à titre précaire ; mais il est aujourd’hui très naturel qu’on se blesse de leurs incertitudes ou de leur défection, lorsque l’on avise à changer le provisoire en mieux. Il y eut nécessairement des clauses sous-entendues des deux parts dans ce marché-là, et la principale fut sans doute que quiconque serait le premier en position de l’interpréter à sa guise, par cela seul l’interpréterait comme il faut. Nous craindrions que les diverses parties contractantes ne fussent toutes trop pressées de fournir carrière dans cette course au plus fort, nous le craindrions surtout pour celle qui, ayant le pouvoir en main, peut faire plus, plus vite et plus mal que les autres.

Encore une fois, nous comprenons qu’il ne soit pas très agréable, lorsque l’on siége à l’Élysée et qu’on se trouverait bien d’y séjourner, d’avoir des conseillers qui aillent porter leurs conseils à Claremont ou à Wiesbaden, et paraissent toujours prêts à ramener leurs hôtes de l’exil. Comment l’empêcher après tout, et de quelle autorité s’appuyer pour tenir en bride ceux qui vous ont communiqué la leur ? C’est alors que de dépit on veut avoir sa revanche. On ne se gêne plus pour laisser répandre en l’air des semences d’inquiétude, pour risquer la discipline des troupes, à cette seule fin d’avoir de son côté les dehors militaires, pour couper les officiers en deux bandes, ceux qui crient et ceux qui ne crient pas. On est content si l’on a pu imprimer quelque ennui sur l’impassible figure de ce mystérieux général qui, debout en face de vous comme un sphinx en uniforme, regarde froidement passer les escadrons, et semble vous défier de les lui ôter.

De part ni d’autre, nous ne souhaitons pourtant pas de défi : celui qui rompra