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la trêve paiera certainement les frais de la rupture ; mais nous sommes tous exposés à les payer avec lui, et nous y regardons à deux fois. Quel qu’il soit, la masse lui donnera tort, et tort peut-être au profit du premier occupant. Le premier occupant, quand le branle est une fois commencé, quand la place est enfin rase, nous le savons, c’est trop souvent la démagogie. Ne la laissons point encore s’intercaler à travers nos rangs. Cette masse du peuple laborieux et obscur, qui a tant besoin de repos et de paix, est capable de se donner à n’importe qui par rage de se voir toujours ravir cette paix qui lui reste pour seule consolation. Prenons garde que nous sommes dans une impasse, que nous n’avons pas encore d’ouvriers qui sachent nous y pratiquer une porte ; prenons garde que toutes les déceptions, toutes les colères s’y amassent petit à petit, et qu’elles pourraient bien, faute d’une large ouverture qui, leur donnât un tranquille passage, s’y faire violemment leur trouée.

Tournons maintenant les yeux vers les affaires du dehors au milieu desquelles la Chronique peut du moins se conduire avec plus d’aisance et sans tant risquer d’être indiscrète. Nous voudrions autant que possible enregistrer ici d’une façon régulière toute la suite des événemens extérieurs et en noter la physionomie changeante dans la succession même de nos tableaux. Cette histoire courante de la politique étrangère est l’indispensable complément de nos remarques périodiques sur la situation intérieure. Il y a pourtant cette différence obligée entre les deux parties de la Chronique, qu’il est très difficile de ne pas mettre dans la première des impressions plus que des faits, tandis que les faits au contraire et leur développement matériel doivent tenir plus de place dans la seconde, parce qu’ils sont moins connus et nous touchent moins.

Hâtons-nous de dire que la mort de la reine des Belges ne saurait être pour nous un de ces événemens étrangers ; elle nous frappe comme un deuil national. La reine Louise, assise sur un trône à peine élevé au lendemain d’une révolution, n’avait pas peu contribué à le raffermir en y donnant l’exemple d’une vie pleine de vertus. Sa douce et modeste influence s’était associée à la sagesse consommée du prince dont elle était devenue l’épouse, pour attacher le peuple belge à la jeune dynastie ; elle avait été la grace de cette monarchie naissante. On lui sentait pourtant une secrète langueur cachée jusque sous sa bonté, on devinait jusque sous ses prospérités ce fonds de tristesse résignée auquel on reconnaît quelquefois les nobles existences qui doivent finir trop tôt ; mais le voile mélancolique jeté sur sa destinée la rendait plus intéressante, et cette compatissance respectueuse qu’il est si bon pour les grands d’inspirer aux petits ajoutait à l’affection populaire dont elle était entourée. Au sein de sa nouvelle famille et de sa nouvelle patrie, la reine Louise restait encore l’un des plus précieux ornemens de la maison qui régnait sur la France ; elle était l’un des liens les plus puissans de cette famille si unie, elle en partageait toujours les anxiétés ou les joies. Les récentes vicissitudes de la fortune des d’Orléans furent de cruelles épreuves pour son ame ; cette nature si délicate et si contenue n’a pas résister à des assauts trop répétés : elle a succombé sous les contrecoups qui l’atteignaient trop profondément. Son heure suprême nous a donné derechef l’un de ces graves spectacles que la mort semble nous prodiguer depuis quelque temps. La reine Louise a gardé jusqu’au dernier soupir sa force d’esprit, son calme et sa simplicité. Quoique la mort fût envers elle