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conservatrice. Le pays savait tout ceci, et de l’autre côté il voyait un ministère libéral, mais décidé à empêcher que la liberté ne dégénère en désordre. Les votes du pays ont donc été parfaitement naturels et logiques. On a parlé ces jours-ci à Madrid de crise ministérielle ; nous sommes en mesure d’affirmer qu’il n’y a rien de vrai dans ces bruits. La réunion des cortès étant prochaine, le ministère a eu à résoudre quelques graves questions, et il a souvent tenu conseil ; voilà la véritable, la seule source des rumeurs en question.

Pendant que l’on court en France après les solutions, suivant le mot à la mode, et que chacun veut imposer la sienne, le congrès des États-Unis, ou, pour être plus juste, le peuple américain a enfin trouvé celle qu’il poursuivait. Ce n’est pas la première fois qu’une nation se montre plus sage que ses représentans, et que la science politique est moins bien inspirée que le bon sens populaire. Le congrès des États-Unis s’est complu pendant neuf mois dans une véritable œuvre de Pénélope, consacrant trois ou quatre jours par semaine et souvent plus à défaire ce qui avait été fait la semaine précédente. Sénateurs et représentans ont rivalisé de stérile fécondité : sur les trois cents législateurs américains, on n’en citerait pas dix qui n’aient eu leur amendement rejeté, et qui n’aient prononcé leurs trois ou quatre discours sur la question de l’esclavage. Heureuse l’Amérique de ne pas avoir sept cent cinquante Solons à huit dollars par jour ! La discussion n’eût pas duré moins de deux bonnes années.

La voilà donc terminée, cette iliade législative, qui a presque mis aux prises les deux moitiés de l’Union américaine, qui a usé les forces de M. Calhoun et du président Taylor, et qui a failli ensanglanter l’enceinte du sénat des États-Unis. Elle aura servi à mettre dans tout son jour la décadence des mœurs politiques en Amérique, en montrant tous les partis également acharnés à poursuivre le triomphe d’intérêts exclusifs, également rebelles à toute pensée de conciliation, également insensibles aux souffrances d’un pays en proie depuis deux ans à une incessante agitation, et qu’on menaçait sans relâche d’une guerre civile. La transaction ne se fût jamais accomplie si le peuple américain ne l’avait voulue obstinément, et ne l’avait impérieusement imposée à ses législateurs. Les efforts héroïques de M. Clay, qui a mis le sceau à sa renommée dans cette campagne parlementaire, ses appels éloquens à la concorde et à la modération, les sages conseils de MM. Webster et Cass, d’accord pour la première fois, les prières et les objurgations de la plus grande partie de la presse, rien n’a pu ébranler l’obstination des législateurs américains ; mais, quand le compromis de M. Clay eut succombé, la masse entière de la nation éleva la voix, et cette voix est toujours écoutée. Les concessions qu’ils avaient refusées aux nécessités de la patrie, au salut de l’Union américaine déjà à demi brisée, à l’ascendant des grandes influences parlementaires, les sénateurs les prodiguèrent à la crainte de l’impopularité : le compromis fut ressuscité par ceux mêmes qui l’avaient repoussé, et chacune de ses parties triompha isolément. C’est l’exemple le plus frappant que la république des États-Unis ait encore donné de cette servilité législative, qui est un des résultats funestes du régime démocratique. Cette fois, la docilité des assemblées américaines a tourné au profit des grands intérêts de l’Union, et les journaux des États-Unis s’applaudissent avec raison de cet heureux résultat de l’ascendant des masses populaires ; mais la foule, intelligente quelquefois,