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Quand Béranger chantait le roi d’Yvetot, il écrivait une satire ; les princes et ducs de M. d’Auersperg sont des rois d’Yvetot pris au sérieux. Bonnes gens, natures fades, intelligences sans prétentions et sans soucis, ces innocens pasteurs des peuples ressembleraient, sauf l’éclat de la poésie, aux bergers des idylles. Écartez ces ornemens où brille un travail si précieux, enlevez aux héros leur costume et le paysage où ils vivent, que restera-t-il de la création du poète ? Quelques personnages de Fontenelle. En défigurant ainsi l’idée de gouvernement, on est bientôt conduit à défigurer la religion. Tout cela se tient : le caractère sérieux et profond de l’état moderne étant si étrangement méconnu, la hauteur des institutions religieuses disparaît par l’application du même système. Que le moment est bien choisi, en vérité, pour recommander à l’Autriche la littérature enfantine du poète Nithard, le régime pastoral du duc Otto et la religion avinée du curé de Kahlenberg ! Quel merveilleux à-propos ! quel sentiment du présent et de l’avenir ! Et comment ne pas reconnaître là l’influence de cette vieille opposition qui énervait les esprits en leur procurant de trop faciles triomphes ? Si M. d’Auersperg se fût réveillé comme tant d’autres, il eût condamné ce poème à l’oubli ; s’il veut conserver sa place dans l’opinion, il faut qu’il renouvelle sa pensée par des œuvres viriles : le temps des banalités prétentieuses ne reviendra pas. Force est bien pour l’artiste le plus habile de suivre son temps, de marcher du même pas que la pensée de tous ; la satire ou la peinture du XIXe siècle exige autre chose que les graces maniérées de l’idylle, ou les confuses bouffonneries de Pantagruel.

Quelques poètes l’ont bien senti ; il est vrai que ceux-là n’appartenaient pas à l’ancienne opposition viennoise, et qu’ils n’avaient pas l’habitude de ces succès de parti si funestes à la fermeté de l’intelligence. Oui, parmi ces natures souvent creuses et sonores qui sont devenues partout ailleurs l’écho d’un siècle désordonné, parmi ces biles esprits qui croient mener le monde, tandis que le vent et la vanité les conduisent, il s’est trouvé en Autriche des poètes qui ont maintenu la dignité de leur mission. Ce qui caractérise presque par toute l’Europe la poésie du XIXe siècle, c’est l’éclat, la fantaisie, maintes choses brillantes et puériles ; ce n’est jamais une seule de ces vertus simples et fortes, jamais une de ces qualités viriles qui ont fait la grandeur et l’autorité des vrais poètes dans les époques sévères. De là ces infatuations risibles, ces palinodies effrontées, toutes ces incartades grotesques dont la France particulièrement a donné le spectacle à l’Europe ébahie. Bien de semblable en Autriche ; les poètes éminens de ce pays, ceux qui, par le succès de leurs œuvres et le retentissement de leur nom, étaient le plus exposés aux niaises ivresses de l’orgueil, n’ont pas oublié un seul jour le respect d’eux-mêmes. Ils n’ont emprunté