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s’est éveillé en Autriche, elle est digne d’exercer l’ardeur de ses hommes d’état et les sérieuses dispositions de la conscience publique.

Dans cette transformation d’une monarchie, la littérature a aussi des devoirs à remplir. Les poètes autrichiens nous ont montré comment une école doit se renouveler pour suivre l’appel des événemens. Il n’y a qu’une vraie poésie, il n’y a qu’une littérature digne d’une époque virile : c’est celle qui, rejetant les puérilités frivoles et se gardant bien des violences démagogiques, s’associe dans une juste mesure aux intérêts et aux obligations de la patrie. Nous avons vu en France, au milieu des préoccupations les plus graves, des écrivains incapables de comprendre les leçons de l’histoire et de donner une direction sérieuse à leur pensée, tandis que d’autres, changeant de théâtre et de public, allaient mendier bassement les bravos de la multitude ; ceux-ci sont de vieux enfans dont le visage fardé ne dissimule pas les rides ; ceux-là ne cachent pas mieux, sous leur démagogie d’emprunt, l’incorrigible vanité de leur esprit. Il serait beau pour les lettres autrichiennes de concourir à ce redressement de tout un peuple et de marquer sa place dans ce généreux travail. Si la littérature qu’on peut appeler désintéressée, si la poésie, sans renoncer à son indépendance, vient ainsi en aide à la cause commune, les lettres politiques, à plus forte raison, accompliront une mission féconde. Déjà une presse s’organise, sérieuse, élevée, vigilante, qui est appelée à rendre d’incontestables services. Cette presse, il est vrai, ne jouit pas d’une liberté complète ; débarrassée de la censure, elle est soumise à l’autorisation du gouvernement, et certaines mesures fiscales lui rappellent sans cesse de quel œil jaloux l’autorité la surveille. Qu’importe ? Ces entraves sont de celles qu’une presse bien disciplinée, sous les institutions les plus libres, devrait s’imposer à elle-même. En Autriche particulièrement, en face des problèmes si périlleux de la situation actuelle, dans cette laborieuse préparation de l’ordre nouveau, la littérature politique serait bientôt perdue, si la brutalité des brouillons pouvait s’y donner carrière. N’est-ce pas un bonheur pour cette jeune presse de sentir ce frein salutaire et d’être forcée d’avoir toujours raison ? Les violences des énergumènes ne serviraient que l’absolutisme ; elles rallumeraient les passions dans une société qui a besoin du plus grand calme et des plus intelligens efforts ; elles arrêteraient pour long-temps ce grand travail que nous avons signalé dans la monarchie autrichienne, et dont nous attendons l’issue avec confiance.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.