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anciens qu’ils opposent à ceux du jour ne sont que des autorités de polémique admirées par contradiction, et tel est l’effet de la mode que, dans les controverses qu’elle suscite, elle communique de sa témérité et de son vain langage même à ceux qui ont raison.

Je me souviens qu’au temps de la vogue de lord Byron, j’étais touché du mal que me paraissait faire aux ames un enchanteur qui présente le doute comme une supériorité de l’esprit, les devoirs comme des conventions, le désespoir comme l’impression dernière que reçoit des choses humaines un observateur de génie. Par un juste sentiment de ma faiblesse, je soupçonnais tout ce qui voulait intéresser mon imagination à ce que n’approuvait pas ma raison ; je préférais les conseils des livres à leurs complaisances, et j’aimais mieux, pour franchir la première entrée dans la vie, prendre la main des guides éprouvés, des gens qui montrent le grand chemin, que de me jeter à la suite du grand novateur anglais dans toutes les aventures de la pensée. Du moins je n’en ai rien écrit, et je m’en félicite, car il eût fallu rendre à lord Byron une partie de ce que je lui aurais ôté, adorer ce que j’aurais brûlé, et, pour être vrai, être inconséquent.

Aujourd’hui, l’impartialité est devenue facile. Il y a long-temps que la controverse au sujet de lord Byron a cessé. La mode a changé d’idoles, et la critique a suivi la mode. Lord Byron n’est ni un poète populaire ni un auteur classique ; on ne le lit ni par imitation, ni par obligation. Il n’attire plus les yeux sur lui que par le pur et paisible rayonnement de ce qu’il y a de durable dans sa gloire. Au lieu d’apologistes et de critiques, il n’a plus pour lecteurs que de simples curieux des choses de l’esprit, qu’intéresse cet astre solitaire à demi caché derrière les étoiles qui se voient de tous les points du monde. D’ailleurs, le temps lui a ôté ses plus dangereuses séductions et émoussé ses pointes les plus acérées. La partie romanesque de ses poèmes a vieilli, et ce doute dont il se prévalait comme d’un privilège du génie ne nous paraît plus qu’un privilège de misère. On pourrait le louer impunément ; il n’y a pas de risque qu’un éloge isolé lui ramenât la foule, cet éloge fût-il d’une plume capable de mettre à la mode ce qu’elle loue.

Il y a pourtant de très bons esprits qui croient le temps mal choisi pour montrer les côtés louables d’un poète tel que lord Byron. Dans un temps où la faiblesse de la société exalte la superbe de l’individu et rend le doute insolent, il est du devoir de la critique, pensent-ils, d’attaquer sans relâche ces deux travers, et de les discréditer dans leurs plus grands exemples. Il est bon, tant que le mauvais esprit dure, de protester contre ceux qui lui ont donné la grandeur d’une insurrection de la liberté contre l’arbitraire ou les graces d’un caprice du génie j’en suis d’accord, et je ne voudrais pas manquer, pour mon compte, au devoir commun ; mais il y a deux manières d’attaquer le mauvais