Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

esprit dans les livres qui l’ont rendu populaire : la première le prend corps à corps, et, selon la forme sous laquelle il se produit, ou bien lui arrache son masque, ou bien lui prouve qu’il est dupe de ses propres sophismes. La seconde consiste à montrer, dans ceux qui y ont employé sincèrement ou prostitué par calcul leur talent, le spectacle du mal qu’ils se sont fait en nuisant aux autres, et à appeler quelque pitié sur leurs mains saignantes des blessures qu’ils ont portées au genre humain.

L’une est plus efficace du vivant de l’écrivain. Il est là pour y répondre, ou, s’il n’accepte pas le combat, assez de gens sont intéressés à la mauvaise morale, pour qu’il ne manque pas de champions. C’est une belle lutte alors, et combien ceux-là sont à envier qui savent défendre avec éclat la conscience de leur pays contre les sophismes de ses écrivains, la raison contre la mode, et la morale contre la gloire !

L’autre sied mieux avec les écrivains morts. Les erreurs d’un vivant sont orgueilleuses, ses sophismes ont je ne sais quoi de triomphant ; ses lecteurs sont des sujets, son succès est un règne. Avec sa vie cesse tout ce bruit ; la mort est déjà une défaite ; que sera-ce si cette mort, comme celle de lord Byron, a été prématurée et héroïque, prématurée parce qu’il s’est dévoré, héroïque, sauf à faire dire même aux sages qu’il avait cherché l’héroïsme pour échapper à l’ennui ! Une première fois vaincu par les mœurs de son pays, il le fut une seconde fois par la mort, mais sans la ressource de l’orgueil pour s’en consoler, ni de la renommée pour s’en venger. N’est-ce pas de la meilleure justice, et qui néanmoins ne désarme pas la morale, que de se borner, envers un tel mort, à faire voir ce qu’il lui en a coûté pour avoir marché hors « de la droite voie, » et quel cilice armé de pointes il portait sous le poétique costume que lui ont prêté les arts, le beau et noble jeune homme, le souci public de toutes les femmes de son temps ? Voilà ce que j’ai tâché de faire dans ces remarques sur lord Byron, et s’il en résulte la preuve que le plus puni du scandale d’un livre, c’est souvent l’écrivain, et que le génie sans croyance n’est que le plus vulnérable des amours-propres, ce ne sera, ce semble, ni de la mauvaise morale, ni de la critique à contre-temps.


NISARD.