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un sauvage... On s’était confessé. D’autres, qui donnaient plus d’espérances, ne revenaient plus; enfin le carême arriva : ce fut une rafle; tous disparurent.

LA MARQUISE.

Vous riez?

LA BARONNE.

Je ne ris pas. Je suis encore indignée quand j’y pense. S’il faut vous l’avouer, je m’étais promis d’en enchaîner un au moins. Je le voulais à mes pieds, à genoux. J’étais curieuse de triompher du confesseur et de savoir comment disent : Madame, je vous aime, ceux qui n’en font pas leur métier; car nos lions de par-ici sont jolis, mais point inventifs, et ils copient toujours un peu le jeune premier en vogue. Songez donc à i’ émotion, à la pâleur, à l’ingénuité, à la bêtise d’un homme que la crainte même de l’enfer ne retient pas de laisser parler son cœur.

LA MARQUISE.

Ma chère, cela doit être dangereux.

LA BARONNE.

Peut-être... Je n’avais pas beaucoup réfléchi. Avouer que cela aussi doit être bien amusant. Enfin je voulais voir... et je n’ai point vu.

LA MARQUISE.

Quoi! pas un! Bien vrai?

LA BARONNE.

Vous voulez mon secret; je vous le dirai. Je les croyais tous partis, lorsqu’un soir (je chantais), un énorme soupir et deux yeux timides, mais pourtant animés d’une flamme sans pareille, attirèrent mon attention et ranimèrent mon courage. C’était un simple bachelier, mon cousin de très loin, et l’un des aides-de-camp les plus occupés de ma tante. Je le savais si perdu de sermons, de visites aux pauvres, de congrégations, de Ravignan, de Lacordaire, de tout, et je le voyais si peu, que je ne l’eusse jamais soupçonné de pouvoir pousser de tels soupirs et ouvrir de pareils yeux. Je le fais causer, et je trouve les commencemens d’une passion africaine. Le pauvre enfant ! il me disait mille choses qu’il ne voulait pas dire, et mille autres qu’il croyait taire. Il avait de l’esprit, le cœur noble. Le baron, tout en cherchant à faire son éducation, comme il venait d’achever la mienne, l’aimait tendrement...

LA MARQUISE.

Vous m’effrayez.

LA BARONNE.

Hélas! n’ayez pas peur. Il voulait combattre sa passion; mais, malgré des résistances qui me divertissaient et qui m’attendrissaient, il se laissait subjuguer jusqu’à négliger, pour me voir, les commissions de ma tante. Il venait au théâtre, chose extrême ! Caché dans un coin, il me regardait tout à son aise. Je sentais que ses yeux étaient là. Un jour, on parlait d’une représentation où nous avions assisté la veille : ni lui ni moi n’avions entendu un mot de la pièce, ni seulement vu les acteurs.

LA MARQUISE.

Oh! oh!

LA BARONNE.

Attendez. Mon mari lui dit : « Cousin, tu es amoureux ! » Il s’empourpra