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prenaient place quelques-uns de ceux que les affaires de service avaient amenés au Château-Neuf, car l’hospitalité était grande, et le soir comme le matin la table du général était toujours prête à recevoir les hôtes que la fortune lui envoyait. Le déjeuner fini, on passait dans l’immense pièce mauresque aux arceaux de marbre sculptés, et, tout en fumant un cigare sans fin, le général s’entretenait avec les chefs de corps qui avaient à lui parler. Le chef d’état-major. M. le colonel de Martinprey, arrivait ensuite avec toutes ses signatures. Nul n’était plus respecté dans l’armée que le colonel de Martinprey. Sa loyauté, son courage, sa bonté bienveillante, pleine de fermeté, lui avaient attiré l’affection de tous. On aimait à entendre sa parole grave, toujours écoutée avec déférence. C’était une de ces grandes figures qui rappellent les guerriers du temps passé. Le travail de l’état-major fini, le général étudiait les questions, écrivait ou discutait les projets, montait parfois à cheval quelques instans, et, le soir venu, quand n’étant pas de service, on se croyait libre de prendre sa volée, bien des fois il nous arrivait d’être retenus pour achever un mémoire ou un projet en train, et de ne regagner notre chambre qu’au milieu de la nuit.

Telle était la vie qui s’appelait le repos d’Oran ; mais aussi, grace à cette activité incessante, à la promptitude et à la rapidité de son intelligence, le général de Lamoricière, dont la ligne de conduite à cette époque était clairement tracée par des devoirs bien définis, exécutait ou préparait d’utiles projets, cherchant partout les avis ou les conseils, et souffrant qu’on lui dît et qu’on lui prouvât qu’il avait tort, lorsque son esprit hardi se laissait aller à l’un de ces brillans paradoxes qu’il aimait parfois à soutenir. Nous vivions tous dans l’accord le plus intime. Les compagnons les plus anciens, les plus éprouvés du général, tels que le commandant d’Illiers et Bentzmann, le capitaine philosophe, étaient les premiers à partager nos passe-temps : le capitaine Bentzmann lui-même nous permettait de railler son étude de prédilection, l’économie politique, et les graves méditations qui l’entraînaient parfois au milieu des nuages. Ainsi les heures passaient rapides, et pourtant l’on soupirait en songeant à cette paix monotone qui menaçait de se prolonger éternellement. Les causeries et les travaux du Château-Neuf nous plaisaient sans doute, mais nous aurions préféré courir les champs en pays inconnu et bivouaquer au milieu des coups de fusil. C’était aussi l’avis de deux officiers indigènes, de deux Douairs attachés à la personne du général : l’un, Caddour-Myloud, vrai renard, savait mieux que pas un tondre la laine arabe, ou, comme dit le proverbe, pêcher en eau trouble ; mais sa finesse, son intelligence, sa connaissance des choses et des hommes, les services nombreux qu’il m’ait rendus et qu’il rendait encore, faisaient fermer les yeux sur bien des