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chêne test sur le bord d’un chemin, dans un enfoncement en forme de carré. Du côté des champs, il est protégé par les haies des propriétés voisines ; du côté du chemin, par le respect public. Son tronc, à demi rongé, se couronne encore chaque année d’un feuillage abondant ; mais les siècles ont abattu les hautes branches, et les feuilles ne s’éloignent guère du tronc qui les nourrit. On ne voit pas sans émotion un arbre qui devait compter déjà plusieurs siècles au temps du roi Jean, puisque son ombre suffisait pour abriter l’audience royale. Or, la grande charte du roi Jean est du commencement du XIIIe siècle. Le même esprit a respecté les premières libertés de l’Angleterre et l’arbre sous lequel s’assit le prince à qui l’Angleterre les arracha.

Les souvenirs de Robin Hood consacrent plus d’un autre de ces grands chênes. Tous ont leur nom. En voici un dont le tronc fendu offre comme une niche assez large pour contenir un homme assis ou debout. Il se nomme le Shambles ou l’Abattoir. C’est de là que Robin Hood présidait au dépeçage et à la distribution des daims du roi entre ses joyeux compagnons. Un autre, plus célèbre, est le parliament oak, ou the Trysting tree, le chêne du parlement, l’arbre du Rendez-vous, ainsi appelé parce que Robin Hood y tenait ses assemblées. Le plus ancien est le Green dale oak, le chêne du Vert-Vallon, dont le tronc aurait pu recevoir à l’aise tout le conseil de Robin Hood. Ce tronc semble s’être formé, comme nos montagnes, par la loi des soulèvemens. Ses bosses énormes montent les unes sur les autres comme les couches d’un terrain soulevé. Le tronc a la couleur des vieilles pierres. On dirait un roc d’où jaillit un arbre vigoureux. J’ai vu, dans les Pyrénées, d’énormes rochers d’où sortaient des hêtres plus nourris d’air et de brouillard que de terre, moitié rochers, moitié arbres. C’est une image du Green dale oak. La crevasse qui partage son tronc en deux moitiés est assez large et assez haute pour laisser passage à une voiture. Un voyageur égaré qui arriverait là de nuit, voyant dans l’ombre ces deux énormes assises, prendrait ce chêne pour une vieille porte de ville surmontée d’une tour. Un appareil en menuiserie sert à empêcher que la crevasse ne s’étende et à lui conserver la forme d’une porte. Nous appellerions cela du mauvais goût ; mais ce mauvais goût est aussi ancien que la crevasse, et il en est devenu respectable. Le chêne du Vallon-Vert dépend d’un fermage particulier, dont une clause porte expressément que chaque année, à une certaine époque, le fermier doit faire passer un chariot à travers la crevasse. On a voulu conserver à la fois l’antiquité de l’arbre et la singularité du fait.

Ces chênes sont des buts de promenades et même de voyages. On vient les voir de tous les points de l’Angleterre ; les cavalcades s’y donnent rendez-vous ; les enfans mesurent les troncs avec leurs petits bras. On en prend le plus grand soin ; on les respecte comme ces rares vieillards,