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sous la forme la plus sévère. Quant aux Poésies de Marguerite, qui sont loin de posséder le même charme, la même valeur littéraire que ses Contes, depuis le Miroir de l’ame pécheresse jusqu’aux Mystères, qui terminent le recueil, il est bien difficile d’y trouver le plus petit mot pour rire. On s’étonne à bon droit que les docteurs de la Sorbonne aient condamné comme hérétique le Miroir de l’ame pécheresse. Le raisonnement des docteurs n’était pas, en effet, conforme aux lois d’une saine logique. Marguerite n’avait parlé ni des saints, ni du purgatoire ; donc elle ne croyait ni au purgatoire ni aux saints. Ce n’est pas là certainement ce qu’on peut appeler un enthymème victorieux. Cependant, sans la protection toute-puissante de son frère, Marguerite serait peut-être montée sur le bûcher. Bien que le texte des Contes, publié par Claude Gruget dix ans après la mort de l’auteur, ne puisse être accepté comme un texte original, il ne faut pourtant pas exagérer l’importance des altérations qu’il a subies, et, si nous n’avions pas les lettres de Marguerite, nous pourrions par la lecture de ses Contes deviner à peu près toutes les pensées qui ont rempli sa vie. Sa correspondance, dont les autographes sont conservés à la Bibliothèque, nous dispense de toute conjecture. Il est inutile désormais de chercher à deviner, sous le voile plus ou moins transparent de la fiction, ce que Marguerite nous révèle dans ses lettres.

Or, si cette correspondance réfute victorieusement les reproches de légèreté et même de libertinage qui ont été adressés à Marguerite par l’ignorance et la superstition, elle nous explique en même temps ce qu’il y avait de douloureux dans sa tendresse pour son frère. Il n’est pas vrai que la reine de Navarre ait choisi plus d’un amant parmi les poètes réunis à sa cour ; il n’est pas vrai qu’elle se soit donnée à Marot, car Marot n’était rien moins que discret : s’il eût possédé Marguerite un jour, une heure seulement, il n’aurait pas manqué de s’en vanter, et l’on ne trouve le souvenir d’un tel bonheur ni dans ses élégies, ni dans ses épigrammes. Il n’est pas vrai que Marguerite se soit livrée à son frère : l’accusation d’inceste portée contre elle ne repose sur aucun fondement ; mais il est vrai qu’elle a ressenti pour son frère une tendresse qui allait au-delà de l’amitié. Nous pouvons nous prononcer sur cette question sans redouter le reproche de légèreté. Les pièces sont entre nos mains, et, loin de condamner Marguerite, elles commandent la pitié à toutes les ames généreuses. Oui, Marguerite a aimé François Ier autrement qu’un frère, mais elle a refoulé au fond de son cœur cette coupable passion, et n’a rien fait pour la rendre contagieuse. Elle en rougissait comme d’un crime, et la lettre qui nous la révèle montre assez clairement que son frère ne la partageait pas. Cette lettre, écrite par la duchesse d’Alençon à l’âge de vingt-neuf ans, ressemblerait à une énigme, tant le langage en est embarrassé, si nous n’avions pas pour