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à les nommer les beaux esprits que la mode a pris sous sa protection, le soin puéril de mettre sous un nom réel des faits réels, la ridicule ambition de reconstruire par la pensée un François Ier qui ne soit fait ni de bois ni de carton, mais de chair et d’os, de sang et de passion, comme les hommes qui ont vécu, comme les hommes que nous coudoyons chaque jour. Est-il vraiment possible qu’il se rencontre aujourd’hui des esprits assez mesquins, assez timides, assez pusillanimes, pour chercher dans la réalité historique le point de départ de la fantaisie ? Plaignons-les sincèrement, car ils ne savent ce qu’ils font. Le François Ier de la comédie s’est a[franchi, grace à Dieu, du joug humiliant de l’histoire. Louise de Savoie, Marguerite de Navarre, ne le reconnaîtraient pas ; mais qu’importe ? c’est un personnage librement imaginé, et, bien qu’il parle sans accompagnement, bien que sa pensée ne soit soutenue ni par le cor ni par les violons, il y a dans tous ses mouvemens, dans toute sa démarche, je ne sais quoi de galant et de hardi qui sent son paladin, et qui est fait pour provoquer le applaudissemens.

Marguerite, dans la comédie nouvelle, voudrait bien ressembler au Figaro de Beaumarchais ; faute de mieux, après d’inutiles efforts, elle se contente de reproduire, aussi fidèlement qu’elle le peut, le Bolingbroke du Verre d’eau. Elle devine tout, elle conduit tout ; tous les personnages qui s’agitent autour d’elle relèvent de sa seule volonté. Elle gouverne son frère, elle gouverne Charles-Quint, elle gouverne le conseil de Castille : roi et ministres sont des marionnettes dont elle tient les fils dans sa main. Il est vrai que ce Bolingbroke en jupons n’inspire pas un intérêt bien vif, que la tendresse fraternelle tient bien peu de place dans les discours de cette femme qui veut, avant tout, montrer son esprit. Tout cela est trop évident pour avoir besoin d’être démontré ; mais au moins la Marguerite de la comédie nouvelle possède le mérite de la nouveauté. Tous ceux qui ont lu l’excellent travail de M. Génin sur Marguerite de Navarre reconnaîtront, sans se faire prier, que MM. Scribe et Legouvé, pour conserver toute leur liberté, ont négligé prudemment de le consulter. L’intelligence complète de tous les faits dont se compose la biographie de Marguerite aurait pu les gêner ; pour marcher plus hardiment à la conquête de l’idéal, ils ont fermé les yeux à la lumière, et ont créé par la toute-puissance de leur fantaisie une Marguerite dont le type ne se révèle ni dans les ouvrages, ni dans les lettres qu’elle a signés de son nom.

L’infante Isabelle, qui doit épouser Charles-Quint, est un modèle de niaiserie souvent applaudi au boulevard, et que le parterre du Théâtre-Français n’a pas revu sans plaisir. Eléonore, sœur de l’empereur, reine douairière de Portugal, a toute l’ampleur intellectuelle nécessaire pour briller dans la stretta d’un duo. Elle n’est pas tout-à-fait assez passionnée