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plus anciennes, sous cette réserve toutefois qu’elles reproduisent les défauts des vieux maîtres, mais pas une de leurs grandes qualités.

Vasari, qui consacre une de ses notices à Lorenzo di Bicci, artiste d’un certain talent ou tout au moins d’une certaine célébrité, s’est bien gardé de faire semblable honneur à Neri, son petit-fils. Il n’en parle qu’en passant et seulement pour le désigner comme le dernier imitateur de la manière de Giotto. Ce n’était en effet qu’un pâle reproducteur, non pas même d’un homme, mais d’une manière. De là ce dessin banal et routinier, ces formes anguleuses, ces draperies de bois, ces yeux à peine ouverts, ces bouches grimaçantes, ces mains dont les doigts collés les uns aux autres semblent symétriquement taillés par un procédé mécanique. Mettez en regard toutes les œuvres connues de Neri di Bicci et la fresque de S. Onofrio, puis demandez, non pas même à un connaisseur, mais au premier venu, pourvu qu’il ait le sens commun, si ces mannequins et ces figures vivantes peuvent avoir été conçus par le même esprit, créés par la même main, la question sera tranchée sur-le-champ : il serait en vérité moins absurde de faire honneur de Polyeucte ou du Cid au plus méchant rimailleur de la cour d’Henri III.

Cependant M. Galgano Garganetti, archiviste de son état, n’était pas homme à accepter un jugement ainsi rendu. Faire si bon marché d’un texte ! préférer à un titre en règle le simple témoignage des sens et de la raison, quel sacrilège ! Il prit aussitôt la plume pour soutenir sa découverte et faire, de par son journal, un grand peintre de Neri di Bicci. Si folle que fût la thèse, elle pouvait séduire bien des gens, car le public, sans être archiviste, a pour les preuves écrites une vieille superstition. Il fallut donc prendre au sérieux la querelle, et la polémique commença.

On demanda d’abord communication du journal, et, après en avoir attentivement feuilleté toutes les pages, on reconnut que la commande y était bien inscrite, mais que rien n’indiquait qu’elle eût été exécutée. Or, Neri di Bicci, s’il n’était pas bon peintre, était, à ce qu’il paraît, excellent teneur de livres. Il ne recevait aucune somme et n’en payait aucune, si faible qu’elle fût, sans l’inscrire aussitôt ; pas une commande ne lui était faite sans qu’il en consignât sur son registre l’exacte description, ajoutant avec soin quel jour l’ouvrage avait été achevé et quel argent lui avait été remis soit comme à-compte, soit comme solde du prix. Or, s’il eût exécuté la Cène du réfectoire, le plus important travail assurément dont il eût jamais été chargé, comment comprendre qu’en cette occasion solennelle il eût manqué à ses constantes habitudes, et comment son registre serait-il muet sur les suites de cette grande affaire ? Il est vrai que le 4 août, c’est-à-dire moins de cinq mois après avoir reçu la commande, on le voit toucher quelques florins des