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et toujours il survient quelque honnête savant qui, de la meilleure foi du monde, se dévoue à plaider ces absurdes procès. Certes, l’érudition est une belle chose, et les preuves écrites sont le fondement de toute certitude historique, mais à la condition que l’esprit les vivifie. Quand il s’agit surtout des arts et de leur histoire, les doctes, qui n’ont vu que leurs livres, ne valent pas le plus mince écolier, s’il a vu des monumens, s’il les a comparés et s’il les a compris.

Par malheur, les écoliers de cette sorte ne laissent pas que d’être assez rares, et le public, encore un coup, n’a de foi que pour ce qui est écrit. Aussi nous ne serions qu’à demi rassuré, si, pour réfuter M. Galgano Garganetti, nous en étions réduit à dire et à redire que Neri di Bicci étant un mauvais peintre, il n’est pas permis de croire qu’il ait fait un chef-d’œuvre ; mais, Dieu merci ! on trouve quelquefois des armes à deux tranchans, et les preuves écrites vont venir à notre aide.

En effet, notre archiviste invoquait dans sa défense un ancien livre de notes ou mémorial du couvent de Fuligno ; or, on s’est mis à fouiller ce livre, et on y a trouvé la preuve que, peu de temps après l’an 1500, les religieuses s’étaient fait construire un nouveau réfectoire, que l’ancien, celui où Neri di Bicci avait dû peindre la Sainte Cène, avait été transformé en cuisine et en lavoir. Dans un titre daté de 1517, on le désigne sous le nom de vieux réfectoire (il vecchio).

Nous pouvons donc, à notre tour, démontrer par pièces authentiques que Neri di Bicci n’a jamais mis la main à la fresque de la rue Faenza, non-seulement parce qu’il en était incapable, mais, ce qui n’admet aucune réplique, parce que la muraille sur laquelle elle est peinte n’a été construite que quatorze ans au moins après sa mort.

On s’étonnera peut-être que cette muraille ait les mêmes dimensions que celle de l’ancien réfectoire ; mais cela même est expliqué, car les religieuses, en changeant de local, avaient voulu conserver leur mobilier et notamment leurs stalles. Or, pour loger ces stalles, il avait bien fallu s’astreindre, dans la nouvelle construction, aux proportions du vaisseau où elles étaient précédemment placées.

Nous n’aurions pas insisté sur cet épisode un peu puéril, si la soi-disant découverte de M. Garganetti n’avait obtenu, même en France, les honneurs d’une certaine publicité. Vue de loin, elle pouvait sembler quelque chose.

Cependant, parce qu’il est désormais incontestable que Neri di Bicci n’a pas fait la fresque de S. Onofrio, s’ensuit-il que Raphaël en soit l’auteur ? C’est là une question d’un tout autre ordre, et qu’il nous tarde d’aborder, non plus sur la foi d’autrui, mais en nous plaçant nous-même vis-à-vis du tableau.