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personnage, comme dans les œuvres des vieux maîtres, à ceindre d’un cercle d’or, en signe de sainteté, la tête de chacun de ces apôtres, mais qui, s’attachant avec passion à une sévérité de style presque archaïque, fuyant, comme le péché, toutes les licences alors accueillies, par la mode, en est venu jusqu’à préférer, pour la représentation du bien-aimé saint Jean et du traître Judas, la version de Giotto à celle de Léonard.

Nous citera-t-on beaucoup d’artistes à qui s’applique ce portrait ? en trouvera-t-on beaucoup qui, en 1505, aient osé tenir si haut le drapeau des anciennes écoles ? Qu’on nous les nomme, ceux qui possédaient alors un tel génie, un tel savoir, et qui en ont fait un tel usage ? Pour nous, nous n’en connaissons qu’un, un seul, et nous défions qu’on en découvre un autre.

Voilà ce qui vaut mieux, selon nous, que toutes les signatures, que tous les récits de biographes ; voilà ce qui, mieux que tout le reste, nous persuade que MM. della Porta et Zotti n’ont pas fait une vaine conjecture, que MM. Jesi, Cornelius, Minardi, Selvatico et tant d’autres, ont rendu un clairvoyant témoignage. Ce n’est pas que nous n’attachions une très sérieuse estime aux preuves d’un autre genre que nous avons déjà citées, et à d’autres, non moins concluantes, que nous aurions à signaler encore. Ainsi nous pourrions faire remarquer que ces noms d’apôtres, tracés en lettres d’or dans le bas du tableau, sont écrits en dialecte, ou, si l’on veut, en patois d’Urbin, comme certaines lettres adressées alors par Raphaël à sa famille, et qui sont venues jusqu’à nous ; que c’est aussi d’Urbin, ou, ce qui revient au même, de l’atelier de Bramante, que sont évidemment sortis les motifs d’architecture sur lesquels se détachent Jésus et ses disciples. Il n’y a rien là qui rappelle les vigoureux effets du goût florentin c’est une délicatesse de profils, une élégance de proportions qui appartenait alors en propre au parent et compatriote de Sanzio, et dont le secret s’était transmis à celui-ci, témoin le constant usage qu’il en a fait dans ses tableaux. Nous pourrions dire encore qu’à travers ces arcades à jour on voit un paysage conçu dans le même goût et traité exactement de la même manière que ceux qui servent de fonds soit à la Vierge au chardonneret, soit à d’autres chefs-d’œuvres exécutés par la même main et vers la même époque à Florence ; que les petites figures groupées dans ce paysage, savoir, Jésus en prières et ses trois disciples endormis (car le peintre, à la façon des anciens maîtres, a voulu indiquer dans cette perspective ce qui allait se passer quelques instans après sur le mont des Oliviers), rappellent à s’y méprendre, par le style et par la finesse de la touche, les petites compositions dans le genre du Saint George de notre musée de Paris, et doivent être probablement une reproduction de ce Jésus au jardin des Olives