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peint en 1504 pour le duc d’Urbin, tableau d’un fini si précieux et que Vasari prise si fort. Enfin il est une dernière preuve dont nous pourrions faire usage, et que nous avons tenue en réserve jusqu’ici, la plus frappante peut-être de toutes ces preuves de détail, celle qui vous saisit dès l’abord quand on lève les yeux sur cette fresque, c’est qu’un de ces apôtres, le saint Jacques mineur, placé à l’extrémité de la table, au côté gauche du spectateur, est la vivante image de Raphaël lui-même. Ici pas la moindre hypothèse. Cette gracieuse et intelligente figure nous est aussi connue que si elle existait de nos jours, que si nous l’avions vue de nos yeux. On sait combien Sanzio s’est souvent pris lui-même pour modèle. Non-seulement il a fait plusieurs fois son portrait ; mais Vasari et d’autres contemporains nous apprennent qu’au Vatican, dans quatre fresques différentes, il s’est représenté quatre fois, tantôt à côté du Pérugin, son maître, tantôt en compagnie de ses principaux élèves. Or, la physionomie de ce saint Jacques mineur est exactement celle que nous retrouvons et dans le portrait de la galerie de Florence et dans les fresques du Vatican aussi bien dans la Dispute et l’École d’Athènes que dans le Parnasse et l’Attila. Ce sont les mêmes traits, la même expression rêveuse, la même grâce répandue dans toute la personne, et jusque dans ces deux mains si naturellement posées l’une sur l’autre. S’il existe une différence, c’est qu’ici la figure est peut-être étudiée avec encore plus de soin et de recherche, qu’elle a plus d’individualité, et surtout un plus grand charme de jeunesse, ce qu’explique suffisamment la date de ce nouveau portrait.

Voilà certes un argument qui, s’ajoutant à tous les autres, doit triompher des résistances les plus tenaces et les plus incrédules. Nous en proclamons volontiers l’incontestable puissance ; pourtant, qu’on nous permette de le répéter, il est pour nous une démonstration plus victorieuse encore : c’est celle que nous tirons non de tel ou tel détail, mais des caractères généraux de l’œuvre. S’il y a dans cette fresque de tels contrastes, de telles anomalies, qu’elle ne puisse avoir été ni conçue ni exécutée que par un artiste placé dans des conditions dont l’histoire de l’art à cette époque ne présente qu’un seul et unique exemple ; si ces conditions exceptionnelles sont exactement celles où s’est trouvé, pendant quatre années de sa vie, l’immortel élève du Pérugin, n’aurons-nous pas le droit de dire que la question est sérieusement résolue ? et, en la posant ainsi, n’aurons-nous pas écarté d’avance toutes les arguties qu’on serait peut-être tenté d’opposer à nos autres preuves prises isolément ?

C’est donc l’histoire de Raphaël à Florence qui doit nous dire s’il est réellement l’auteur de la fresque de S. Onofrio. Retraçons en peu de mots les traits principaux de cette histoire.