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voir de sang-froid le blé produit par toute cette industrie forcé de faire concurrence, sur le marché anglais, aux blés de Russie et d’Amérique et de se vendre au-dessous du prix de culture ? Il reste encore plus d’un doute, même hors du cercle des intéressés, sur le mérite des mesures de sir Robert Peel. L’agriculture nationale avait, en tout cas, le droit de ne pas les approuver ; mais le jour où ces mesures sont devenues des lois, elle s’y est soumise. On l’a vue souscrire provisoirement à sa ruine par le motif patriotique que d’autres intérêts pouvaient en profiter. Le propriétaire à qui l’on ôte une partie de son revenu, le fermier inquiet pour ses termes, ne sont pas insensibles l’idée que leur gêne diminue celle de l’industrie. Au lieu de s’irriter de leurs souffrances comme d’une injustice de l’état, tout au plus pensent-ils qu’on a fait de bonne foi à leurs dépens une expérience qui ne réussira pas ; mais, en attendant, ils respectent la loi qui leur nuit. La réforme de sir Robert Peel a mis bien des fermiers à bas ; mais j’affirmerais que l’armée des chartistes ne s’en est pas grossie.

L’exemple du sacrifice a d’ailleurs été donné aux fermiers par les propriétaires, et nul n’a été plus loin que le plus lésé de tous, le duc de Portland. Il a fait savoir à ses fermiers que le prix de leurs fermages serait calculé sur le prix moyen du blé. À ceux qui trouvaient leurs baux trop élevés, il a accordé des remises ; aux autres, il a laissé la faculté soit de rester dans les conditions anciennes, soit de faire estimer leurs baux sur le prix actuel du froment. Je vois là trois grands exemples. Le premier est celui de riches qui donnent, car faire des remises, c’est donner. Le second est celui de grands propriétaires lésés par une loi, qui en atténuent l’impopularité parmi leurs fermiers en partageant le dommage avec eux. Le troisième, c’est une opposition qui vient en aide de son obéissance et de son argent à la politique qu’elle a combattue. Grace à cette bonne conduite des propriétaires, le petit champ, au lieu d’envier son voisin le vaste domaine, profite de son exemple et des frais qu’on y fait pour l’améliorer. Il n’y a rien qui s’imite plus en Angleterre que le travail, et l’imitation du travail, c’est l’émulation, si différente de l’envie. La simplicité de mœurs des grands propriétaires ne contribue pas peu à leur faire pardonner leur fortune, — non qu’un lord anglais ne se regarde comme quelque chose de plus que son tenancier ; mais il n’y paraît pas, et c’est ce qui importe. Dans les pays où il y a plus de vanité que d’orgueil, les distinctions de rang sont insupportables, parce que les grands ne savent se trouver grands qu’auprès des petits, et parce que les petits sont assez sots pour en souffrir. En Angleterre, les grands dominent, ils ne s’étalent pas ; ils sont plus fiers que vains de leurs privilèges, et les petits n’y encouragent pas l’insolence des grands par leur propre vanité. Il semble que les classes ne soient que des institutions. On s’incline, non devant une personne qui a l’avantage