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était courte, parce que j’ai retrouvé sur l’écorce blanche d’un jeune bouleau la trace du canon de son arme qu’il avait appuyée contre le tronc pour avoir les deux mains libres. L’empreinte des pattes de son chien annonce évidemment la petite taille de cet animal, et enfin de l’aspect du sol où l’animal s’était assis sur son derrière pendant que son maître décrochait ma viande, j’ai conclu que le chien n’avait pas de queue. — Là-dessus le métis avait poursuivi son chemin, laissant les deux cavaliers émerveillés de son extraordinaire sagacité.

Le soir dont je vous parle, OEil-Double était, comme je vous l’ai dit, venu se mêler à notre conversation près du foyer où Albino était assis avec moi. Le métis était aussi sombre et aussi taciturne que d’ordinaire, mais il paraissait inquiet comme un vieux chien de chasse qui évente l’odeur d’une bête fauve.

— Qu’avez-vous, maître OEil-Double ? lui demanda le contrebandier. Sentez-vous quelque piste dans l’air ? Les Tamarindos sont-ils à notre poursuite ?

— Non, répondit le vieillard. Je viens de relever les quatre aires du vent, les Tamarindos sont loin d’ici, et la terre est silencieuse comme le vent ; mais je ne sais pourquoi je suis inquiet, je flaire la trahison autour de nous.

J’affectai de rire des appréhensions du vieux métis, mais Albino devint sérieux. Il avait appris de longue main qu’il y avait quelque chose de presque surnaturel dans la pénétration du vieillard.

— Ne riez pas des prédictions d’OEil-Double, dit Albino, et, puisqu’il parle de trahison, veillons plutôt soigneusement à notre sûreté.

Au moment où Albino disait ces mots, une des sentinelles avancées que nous avions disséminées dans le bois environnant nous amenait un Indien qui avait paru vouloir tromper notre vigilance. Cet Indien n’avait pour toute arme qu’un bâton noueux qui lui servait à se frayer un chemin parmi les lianes. Je lui demandai d’où il venait et où il allait ; mais l’Indien ne comprenait pas l’espagnol, car il ne répondit à mes demandes que par des tons gutturaux et inintelligibles. OEil-Douhle le couvait tranquillement du regard, et il répondit à l’Indien dans sa langue. J’ai oublié de vous dire que le métis parlait couramment tous les dialectes en usage dans la province de Cohahuila.

— Que dit l’Indien ? demandai-je au vieillard.

— Qu’il rejoint son village et qu’il a eu peur de se voir dépouiller par les insurgés d’une petite somme qu’il a sur lui. C’est le motif qui l’a décidé à essayer de passer inaperçu. Voilà du moins ce qu’il dit tout haut, mais ce n’est pas là ce qu’il pense tout bas. Il y a un autre motif encore, sans doute. Le métis fixa de nouveau ses yeux de basilic sur l’Indien, qui soutint imperturbablement cet examen. Le vieillard, après un moment de silence, reprit son interrogatoire. Nous n’en comprenions pas un mot, et