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nous regardions ces deux hommes qui, à la lueur de notre foyer, semblaient deux statues de bronze rougi au feu. Tout à coup OEil-Double, en voulant se lever, trébucha et avança vivement la main vers le bâton sur lequel se reposait l’Indien ; mais il n’eut pas le temps de saisir ce point d’appui, l’Indien avait fait un brusque mouvement en arrière.

— Je crois que cet homme ne ment pas, dit tranquillement le vieillard en se dressant cette fois de toute sa hauteur. Je veux lui demander encore un mot, et je le laisse continuer sa route.

L’Indien ne parut pas comprendre, car il restait impassible, quand tout à coup le métis lui arracha brusquement son bâton. L’Indien tressaillit ; OEil-Double sourit d’un air satisfait.

— Le secret de l’Indien est dans ce bâton, dit-il. Autrement, quand j’ai paru trébucher et étendre la main vers le bâton pour me retenir, il n’eût pas fait ce mouvement d’effroi en arrière.

Et le vieillard appuya le bâton sur son genou. Un papier sortit des éclats du bois brisé par un effort vigoureux. OEil-Double le ramassa, le déploya et le regarda à la lueur du feu ; puis il me remit le papier en faisant un geste de dédain. Comme OEil-Double, je le tournai et retournai dans mes doigts, et je le passai à Albino. Ce dernier présenta vainement à la flamme du foyer, comme l’avait fait le vieillard, la feuille couverte de signes inintelligibles pour lui comme pour moi. Bref, sur près de deux cents hommes que nous étions là, il ne s’en trouva pas un qui pût déchiffrer le contenu de la lettre interceptée.

— Interrogez l’Indien, dit Albino à OEil-Double ; faites-lui comprendre qu’il mourra, s’il ne vous révèle le sens de cette dépêche.

— Vous entendez, reprit le métis en s’adressant au messager indien et en répétant l’ordre du guerrillero ; mais l’Indien n’en savait pas plus que nous, et les prières ni les menaces ne purent lui arracher d’autres mots que ceux-ci : « Elizondo ! Elizondo ! » On lui rendit la liberté, et il s’éloigna lentement du cercle de lumière. Quant à nous, nous n’étions pas plus instruits. Après le départ de l’Indien, nous envoyâmes par le métis l’ordre à nos sentinelles de redoubler de vigilance et d’amener près de nous tout individu qui serait surpris dans le voisinage du campement. L’inquiétude du vieillard avait été si bien justifiée par la trouvaille de ce mystérieux message, que nous avions pris l’alarme. Nous espérions en outre que le hasard ferait tomber entre nos mains quelque voyageur capable de nous lire la dépêche arrachée à l’Indien. OEil-Double ne tarda pas à venir nous rejoindre, après avoir exécuté sa commission. — Que pensez-vous de tout ceci ? demandai-je au métis. — Quand on voit le pilote, le requin n’est pas loin, reprit sentencieusement le vieillard.

Nous nous étendîmes sur nos manteaux, près du feu. Seul, le métis resta immobile et assis, tantôt la tête appuyée sur ses genoux, tantôt le regard levé vers le ciel et plongé dans une méditation profonde, ou