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et direct professé, non pas à titre de système politique, mais comme droit naturel préexistant. Les dons de la nature n’ouvrent-ils pas, s’écrient-ils, pour les êtres auxquels ils ont été gratuitement départis, une source d’intarissables jouissances morales ? Pourquoi donc la société devrait-elle y ajouter une plus grande part dans les jouissances matérielles dont elle dispose ? Et, par la même raison, pourquoi le pouvoir serait-il attribué au petit nombre, qui est en mesure d’en abuser, plutôt qu’au grand nombre, auquel il importe d’être défendu contre les abus ? Pourquoi, sous le double rapport du bien-être et des droits politiques, le fort recevrait-il plus que le faible, et la règle contraire ne serait-elle pas plus conforme à l’équité ? Est-il juste d’ajouter aux souffrances de la faiblesse celles de la privation, et n’est-ce pas un état contre nature que celui qui écrase les petits au lieu de les relever ? Prenant le contre-pied de l’école constitutionnelle, l’école jacobine prétend trouver dans les besoins la mesure unique des droits, parce que ces besoins lui apparaissent comme le seul fait universel et normal de la nature humaine. À ses yeux, l’inégalité dans la répartition des biens de ce monde ne saurait se justifier dans un système strictement limité à l’horizon terrestre, et qui n’a plus à tenir compte des perspectives et des espérances que la foi populaire ouvrait dans d’autres siècles. Du moment où la vie future cesse d’être le complément de la vie présente, où il n’y a plus à poursuivre au-delà de la tombe la réparation des souffrances endurées sur la terre, le législateur n’a plus, en effet, qu’une tâche à entreprendre : c’est celle de répartir le moins inégalement possible les douleurs attachées à la condition de l’homme, en préparant une organisation assise sur des principes contraires à ceux qui prévalurent dans le passé. Depuis que le mal n’est plus une expiation, il est devenu un non-sens, et c’est sur la terre qu’il faut enfin poursuivre le bonheur si long-temps ajourné aux cieux.

Absorber la vie privée dans la vie sociale, substituer la puissance de l’état à l’impuissance de la famille, le génie de l’organisme à celui de l’émancipation, et le culte du pouvoir à celui de la liberté, tel était le but que se proposaient les jacobins et que poursuivent sous nos yeux les socialistes. Les moyens communs aux uns et aux autres étaient l’impôt progressif, la création d’un papier-monnaie à cours forcé, l’absorption des industries par l’état, devenu suprême régulateur de la production et des prix, enfin un système d’éducation qui, en faisant passer tous les citoyens par les mêmes écoles aussi bien que par les mêmes casernes, rendrait possibles l’égalité des salaires et la communauté des existences, dernier mot de la doctrine.

Ni Robespierre, ni Saint-Just, ni Gracchus Babeuf lui-même, n’entrevoyaient distinctement, il est vrai, la portée complète de leurs idées, et les disciples ont fait sous ce rapport quelque chemin depuis les maîtres ;