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au reste, le même savant qui avait vu dans le lac de Grandlieu une ancienne carrière de pierres à chaux, et qui en trouvait la preuve dans le nom du pays de Retz, qui, en celtique, signifiait, selon lui, chaux forte ! Au point de vue scientifique, le radeau de Michel me semblait aussi satisfaisant que la mine d’étain, et, fable pour fable, j’étais décidément beaucoup plus réjoui par les kourigans du saulnier que par les étymologies de M. Poignant de Montfort.


II. – LE PAYS DES SABLES.

Je couchai chez le Bryéron, dans un de ces lits de plumes dressés sur un double rang de fagots auxquels il faut monter comme à l’assaut, et qui, selon l’expression du pays, ne laissent que la passée sous le baldaquin. Le lendemain, nous nous remîmes en route dès la pointe du jour, et nous traversâmes la Bryère sans nouvelle aventure. Jeanne me parut seulement plus soucieuse que la veille. J’essayai en vain de lui parler ; l’entretien tombait toujours, comme un volant qu’on ne vous renvoie pas. En désespoir de cause, je me retournai vers Pierre-Louis, dont la jovialité n’avait subi aucune atteinte, et j’allai le rejoindre avec ma mule à la queue du convoi.

— Eh bien ! voilà un temps impérial, me dit le saulnier en me montrant le soleil qui montait à l’horizon dans toute sa magnificence ; le bon Dieu illumine pour notre retour.

— Cela ne rend pas Jeanne plus gaie, répliquai-je à demi-voix.

Pierre-Louis jeta un regard vers la saulnière.

— Ah ! monsieur a vu ça, dit-il, c’est vrai qu’elle a ce matin du noir dans le cœur !

— Est-ce qu’il aurait passé un grain sur le ménage ? demandai-je en souriant.

— Par exemple ! dit Pierre-Louis, on voit bien que monsieur ne nous connaît pas. On peut bien, par momens, se taquiner un petit, mais os se raccommode tout de suite, et personne n’en est plus triste pour ça. Non, non, si Jeanne a du souci, ça ne lui vient pas du fils d’Adam comme on dit, mais c’est qu’elle a eu un signe.

— Un signe ?

Le petit charbonnier lui est encore apparu. Quand cela ?

— Hier, après souper ; monsieur était déjà couché : elle a voulu sort dans le courtil pour faire sa visite aux avettes, mais, comme elle arrivait près des ruches, elle a vu le kourigan noir, qui se tenait tout contre.

— Et comment l’a-t-elle reconnu ?

— Pardieu ! à sa courte taille, à son costume noiraud et à son grand