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grisâtre empêche même de les distinguer. À la cime de la colline la plus haute, un arbre élève son maigre feuillage, le seul de ce Sahara maritime : c’est l’arbre du cimetière de l’ancien bourg d’Escoublac ; ses racines poussent dans les tombes enfouies, mais les restes qu’elles renfermaient en ont été arrachés par la tempête. La même rafale qui avait promené si long-temps ces marins sur toutes les mers continue à les rouler sur le sable qui recouvre leur berceau. Vous apercevez partout leurs ossemens dispersés sur les pentes, et vous les sentez craquer sous vos pieds.

Mon conducteur avait consenti à se détourner un moment de sa route, pour visiter l’emplacement du village enseveli. Nous parcourions une plaine où le sol ondulé avait pris l’apparence des vagues ; on eût dit une mer subitement pétrifiée par quelque enchantement. Les monticules qui nous entouraient, taillés, pour ainsi dire, par le vent, affectaient mille formes singulières. Ici, c’étaient des tours croulantes ; là, des débris de portiques ou des ruines de murailles crénelées. Pierre-Louis me montra, sur la hauteur, la place où lui-même avait vu, dans son enfance, la flèche de l’église dont la pointe alors perçait encore le linceul de sable ; depuis, tout avait disparu.

Cependant notre caravane avait atteint un pli de terrain abrité, où quelques herbes marines brodaient l’arène de leur pâle verdure. Au pied du tertre qui protégeait ce coin privilégié, un enfoncement avait été creusé de main d’homme et une pierre roulée en guise de siège. Sur le devant s’étendait une petite grève de sable fin durci par l’humidité. Jeanne, qui avait mis pied à terre, lâcha la bride de sa mule, et s’avança vers la grotte pour mieux voir le paysage ; elle tenait à la main une branche d’osier encore garnie de quelques feuilles qui lui servait de houssine, et elle en frappait le sol d’un air distrait. Tout à coup je la vis tressaillir et s’arrêter avec une exclamation de surprise épouvantée.

— Qu’y a-t-il ? demandai-je en m’approchant.

— Voyez ! dit Jeanne.

Et de sa baguette, qui lui tremblait dans la main, elle me montrait le sol sur lequel étaient tracés quelques caractères mal formés imitant l’écriture moulée. Pierre-Louis s’approcha.

— Dieu me sauve ! c’est ton nom ! s’écria-t-il troublé.

— En effet, repris-je en regardant à mon tour, il y a bien Jeanne ; mais que voyez-vous là qui puisse vous effrayer ?

— Non, ce n’est rien, dit le saulnier, qui cherchait évidemment à surmonter une première impression, des contes de vieilles femmes ! A les entendre, quand on trouve, comme ça, son nom écrit dans les endroits où il ne vient personne, c’est un ajournement du mauvais esprit,… du petit charbonnier, quoi !… Mais on ne croit pas à ces choses-