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traités ont été conclus dans un esprit que nous ne saurions trop approuver. Nous voulons parler, entre autres, de la convention toute récente avec la Sardaigne, spécialement indiquée dans le message. Nous avons quelque droit de le faire, car c’est à notre littérature que celle-ci vient en aide, et ce sera la première fois qu’on aura entendu dans une occasion aussi solennelle, dans un document émané des hautes régions du pouvoir, condamner sévèrement l’odieux abus de la contrefaçon étrangère, qui depuis tant d’années lèse si cruellement l’imprimerie et la librairie françaises. Le message nous apprend que des négociations nombreuses attaquent à la fois sur beaucoup de points cette piraterie trop long-temps tolérée ; sur quelques-uns même, elle est déjà vaincue. M. Ferdinand Barrot, durant sa courte résidence auprès du roi de Sardaigne, a su avec habileté mener à bien un traité réellement efficace qui ferme le Piémont à la contrefaçon belge ou autre, et abaisse de près de 40 pour 100 les droits d’entrée sur les livres français. On a même l’espoir qu’une convention postale heureusement commencée par M. Barrot achèvera de resserrer les liens que nous aimerons toujours à voir nouer entre la France et ses bons voisins du Piémont.

Ajoutons par circonstance, puisqu’on s’occupe décidément de cette louable entreprise de fermer ses débouchés à la contrefaçon, qu’il n’importe pas moins de l’atteindre dans les lieux mêmes où elle a ses officines, à Bruxelles surtout, en Suisse, à Leipzig, puis à Milan et jusqu’en Amérique, où elle commence à travailler. La convention commerciale entre la France et la Belgique expire en 1851 ; le moment est venu d’entamer des négociations qui ne peuvent manquer d’avoir un heureux résultat, puisque le cabinet de Bruxelles est tout disposé à les accueillir, et qu’au sein même des chambres belges il s’est élevé naguère une réprobation formelle pour cette contrefaçon des livres français, exercée le plus souvent par des étrangers qui n’ont pas de racines dans le pays. Il serait aussi à désirer que la France, en tâchant de faire respecter sa propriété littéraire au dehors, fît respecter chez elle la propriété littéraire de l’Angleterre et de l’Allemagne. Il serait d’un bon exemple d’avoir une loi qui nous interdît à nous-mêmes la contrefaçon des livres étrangers : l’exemple ne nous coûterait pas cher et nous profiterait sur-le-champ, car la Prusse a posé d’avance en principe dans sa loi qu’elle assurerait la propriété littéraire de tout état qui reconnaîtrait la sienne.

Ce n’est pas au hasard que nous insistons sur cet ordre de faits ; c’est un point que nous avons pris, parce qu’il était de notre ressort, pour montrer combien il serait essentiel d’appeler l’attention du public et l’action du gouvernement sur ce solide terrain des affaires véritables. Nous ne pensons pas qu’il soit jamais besoin de tramer quelqu’une de ces prétendues conspirations des intérêts matériels contre les intérêts moraux, et de viser par système à l’étouffement des uns sous les autres ; mais nous ne sommes non plus partisans d’aucune logomachie, et nous croyons fermement qu’il y a telle heure dans la vie d’une société où la résurrection énergique de ses intérêts matériels devient la meilleure garantie de son assiette morale. Lorsque les passions et les chimères ont bouleversé les cervelles des hommes, lorsque leur raison menace, pour ainsi dire, de s’évaporer dans l’ébullition des fausses doctrines et des paroles creuses, c’est une œuvre sainte de les ramener, s’il est encore possible, à la glèbe salutaire du travail. Leur esprit s’assainit à mesure que leur corps