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amené ou laissé se produire, à côté d’un énorme accroissement de richesses et de bien-être, dont l’honneur lui revient exclusivement, des misères incontestables pour la classe ouvrière ; bien qu’en définitive elle aussi eût beaucoup gagné, elle se trouvait, faute de lois protectrices, prise au dépourvu par les hasards et les reviremens cruels de la concurrence, par les variations si brusques, ou, pour dire le vrai, si brutales des lois qui règlent le travail et le salaire. Situation douloureuse qu’aggravaient les luttes politiques, et dont l’opposition politique fit pourtant le point de départ de ses attaques !

Soumis à une critique violente et haineuse, le système libéral, battu en brèche en matière de gouvernement, se vit condamné, avec plus de fureur encore et d’une façon radicale, sur la foi des symptômes et des défauts en partie passagers, en partie remédiables, qu’il avait révélés. La logique impatiente et envenimée de l’esprit révolutionnaire et de l’utopie le déclara criminel, usé, le traita de conspiration d’une classe contre une autre. Comme toute doctrine, celle-ci voulut montrer qu’elle aussi avait une tradition et s’en faire une arme. MM. Buchez et Roux, les premiers, se chargèrent de rattacher, avec un peu de suite, à la révolution française les griefs et plus vaguement les théories du socialisme naissant. Tel est le caractère principal, le but même de l’Histoire parlementaire, ce fruit bâtard du saint-simonisme mêlé à l’idée purement révolutionnaire, et qui s’efforce d’y joindre l’orthodoxie catholique ; cet assemblage absurde d’esprit du moyen âge et d’esprit du XVIIIe siècle, d’inquisition et de démagogie ; ce livre qui, pour mieux constater et servir la guerre sociale dans le présent, la transporte dans le passé, et imagine de montrer en 1789 une révolution faite et confisquée par une bourgeoisie égoïste et rapace.

Embrouillée de mysticité, recouverte par un certain ton de bonhomie, perdue presque au milieu des pièces innombrables réimprimées par les auteurs, cette explication de la révolution française par une haine de classe n’était pas encore assez visible, assez palpable, assez populaire. Ce fut l’œuvre de M. Louis Blanc de la tirer au clair : il la mit en formules au nom de la fraternité ; il colora, il anima de sa rhétorique passionnée et théâtrale la logique de Robespierre et les idées de Baboeuf. L’influence qu’exercèrent l’Histoire de Dix Ans et l’Histoire de la Révolution française, ce digne commentaire, à travers les temps, de l’Organisation du Travail, on peut la demander, sans plus d’explication, aux barricades de février, aux conférences du Luxembourg et à l’insurrection de juin. C’est un des aspects douloureux de notre sujet et une des plus tristes pièces à conviction qu’il puisse produire, d’avoir à constater des influences telles qu’il faille les suivre moins à la piste des idées fausses dans les livres qu’à la trace du sang dans les rues.

La révolution avait eu son théologien et son compilateur dans