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M. Buchez, son logicien et son pamphlétaire dans M. Louis Blanc : elle eut son poète ou plutôt son romancier dans l’auteur des Girondins. Assurément, si l’on a pu dire que la littérature a été, pendant les dix-huit ans qui ont précédé février, un actif instrument de propagande révolutionnaire, cette sentence ne s’applique à aucun livre plus qu’aux Girondins, livre d’art plus que d’histoire. Un des traits bien connus du romantisme, c’est de mettre en saillie, en les exagérant, les côtés humains et poétiques des monstres ; ce que d’autres ont fait pour le roman et pour le théâtre, M. de Lamartine me paraît l’avoir tenté, peut-être sans en avoir nettement conscience, pour la littérature historique ; on peut dire que, par certaines idéalisations singulières, il a appelé l’intérêt sur les Quasimodos de la révolution. Certes, l’observation de la nature humaine, aussi bien que le christianisme, reconnaît dans l’homme plus d’un contraste, et pour ma part je suis très loin de demander à l’historien de ne tenir aucun compte de ce mélange d’instincts supérieurs qui attestent que, sous le mal et parfois même à côté, subsiste encore dans l’individu perverti la racine immortelle du bien ; mais à abuser de tels contrastes, à prodiguer les atténuations ou les métamorphoses de ce qui est en somme mauvais et condamnable, je n’ai pas besoin de dire que ce sont là, outre l’histoire qui se dénature, la leçon morale et l’exemple politique qui s’égarent. Des principes indéterminés, des aspirations vagues vers un avenir non défini, tous ces symptômes d’une époque inquiète se retrouvent également dans les Girondins, avec le besoin qui en est la suite ; je veux parler de ce besoin infini d’émotion, signe trop caractéristique de la fin du dernier règne. Chargé en quelque sorte de toute l’électricité qui était dans l’air, ce livre tomba comme l’étincelle sur les passions qui fermentaient. Tandis que les banquets réformistes agitaient l’opinion, il me fait l’effet d’avoir été comme un grand banquet populaire où retentissait la voix même de la révolution, comme un banquet des girondins, au milieu duquel, par une étrange péripétie, la montagne aurait fait invasion, et d’où Robespierre aurait fini par chasser Vergniaud. La France révolutionnaire « s’ennuyait, » disait-on. Elle acheva de s’enivrer.

De poète à prophète il n’y a que la main. Par la bouche de M. Michelet, la révolution rend des oracles. L’auteur semble désormais lui appartenir tout entier ; il en est la proie : science, talent, il a tout embarqué sur cette mer battue des vents, qui lui a rendu en bruit ce qu’il y risquait en gloire solide. Dans ses premiers volumes sur la révolution, publiés avant 1848, il n’apparaissait plus seulement comme un historien qui raconte et juge, mais comme un rapsode qui chante comme un soldat qui se bat, comme l’Homère et comme l’Achille à la fois de l’épopée révolutionnaire. Avant que les insurgés de février