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même des communautés industrielles, cette sévérité, cette exclusion, ne pouvaient être que profitables mais elles présentaient un danger sérieux : celui de créer, au-dessous et au dehors des classes ouvrières, une population oisive et flottante de mendians valides qui ne fit que s’accroître avec les progrès et l’extension de l’industrie, et, à côté de misères imméritées, résultat de crises passagères, une misère professionnelle qui faisait vivre les truands et les vagabonds de la pitié ou plutôt de la terreur publique, comme des revenus d’une prébende : c’était le mot consacré au XVIe siècle.

Une fois admis dans la communauté, l’individu qui en enfreignait les lois était considéré comme parjure et traité comme tel, attendu que le métier s’exerçait sous la foi du serment. Outre les obligations professionnelles, ce serment comprenait un certain nombre d’obligations morales, en vertu desquelles l’artisan devait à ses confrères de bons conseils, de bons exemples et de bons offices. Les unions illégitimes, qui sont de nos jours, parmi les classes laborieuses, une cause si fréquente de misère et même de crime, la séduction, l’adultère, entraînaient, avec les peines ordinaires, l’exclusion hors du métier[1]. On n’était pas seulement responsable pour soi-même, mais encore pour ceux qu’on employait, et les maîtres payaient une amende lorsqu’ils souffraient dans leurs ateliers une action répréhensible. Les règlemens semblaient en ce point s’inspirer de ces mots de l’Évangile : « Malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! »

La charité était, dans le sein de la corporation, officiellement organisée par la confrérie, et, en vertu de ce précepte chrétien qui veut qu’elle soit infinie et sans bornes comme l’amour, qu’elle s’étende à tous les vivans et à tous les morts, qu’elle donne aux morts la sépulture et la prière, aux vivans l’aumône, les confréries s’établirent pour faire l’aumône et pour prier. Entièrement distincte de la corporation, quoique formée des mêmes élémens, la confrérie était placée sous l’invocation d’un saint qui passait pour avoir exercé la profession des confrères. Tandis que pour symbole la corporation avait une bannière, la confrérie avait un cierge. La corporation assistait aux assemblées des échevinages, aux réunions politiques des trois ordres, à la discussion des statuts réglementaires ; la confrérie n’assistait qu’aux solennités de l’église, et ses devoirs, exclusivement religieux, se bornaient, d’une part à l’accomplissement de certaines pratiques de dévotion, de l’autre à l’exercice de certaines œuvres de charité.

Comme institution mystique, la confrérie obligeait ses membres à faire célébrer chaque année, le jour de la fête patronale, un service solennel, à faire dire chaque semaine, quelquefois même chaque jour, une messe à l’intention de tous les gens du métier, à entretenir dans une église un cierge qu’on portait en grande cérémonie dans les processions, et de plus à assister à ce qu’on appelait les honneurs du corps, c’est-à-dire aux solennités religieuses de la vie domestique, telles que les baptêmes et les mariages. Les confrères, qui s’associaient à la joie de la famille, s’associaient aussi à son deuil. Ils avaient suivi le

  1. La plus ancienne confrérie de corporation qui nous soit connue est celle des marchands de l’eau de la Seine ; elle date de 1170. Vient ensuite celle des drapiers de Paris en 1188, celle des chirurgiens en 12970, et celle des notaires en 1300.