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connaissances, n’étaient que des cauchemars tels que l’insatiable et éternel désir pouvait en rêver aux jours de l’ignorance primitive, et la France leur a donné son ame : elle les aime parce qu’ils promettent beaucoup, parce qu’ils n’admettent que deux ou trois lois plus fortes que toute volonté, parce qu’ils sont des arrangemens qui s’engagent à établir l’harmonie ici-bas en demandant seulement à nos appétits de se concilier avec ces deux ou trois nécessités, et en leur permettant d’ailleurs de prendre leurs ébats, comme s’il n’existait pas d’autres impossibilités.

Encore n’ai-je parlé de ces théories qu’au point de vue de leurs conclusions. Que dire de la moralité politique et de la manière de raisonner que notre apathie leur a permis d’accréditer ? Toujours la déduction, la méthode géométrique, c’est-à-dire ce qui se pratiquait il y a deux mille ans ; ce qui revient à cette règle pratique : Conçois d’abord ce que tu peux imaginer de plus désirable pour en faire le but qu’il s’agit de poursuivre quand même ; et ce but une fois arrêté, n’emploie plus ta raison qu’à chercher les meilleurs moyens de l’atteindre. N’examine pas ; pour savoir ce qui est convenable dans tel cas, garde-toi de rechercher les élémens que tu peux y discerner : la bonne méthode est de te poser à l’avance un principe, un prototype de toute justice, et d’affirmer à priori, comme la meilleure combinaison dans tous les cas, celle qui est le plus en harmonie avec ta règle générale. — Oui certes, voilà la philosophie qui, deux siècles après Bacon, a pu se décréter comme la règle des intelligences, et, je dois le dire, je ne la retrouve pas seulement chez les socialistes, je la vois tout aussi bien chez leurs adversaires, je la vois même chez les Bonald, les de Maistre et autres adversaires de la première révolution.

La morale politique est à l’avenant. Sans amener un soulèvement général des honnêtes gens, il a été licite à des milliers d’écrivains de citer comme les titres de gloire d’un homme les conspirations dans lesquelles il avait figuré et les émeutes auxquelles il avait pris part. Sans que la France parût même apercevoir le grotesque de ces parades, de dévots coryphées ont pu couronner d’immortelles les glorieux martyrs du saint droit à l’insurrection. Le vieux machiavélisme enfin a eu pleine liberté de sortir de sa tombe : il lui a suffi de changer de nom ; au lieu de son axiome discrédité : La fin justifie les moyens, il en a inventé un autre : Il n’y a pas de droit contre le droit, et, sous cette forme nouvelle, je ne sache pas qu’il ait trop scandalisé personne en continuant à prêcher que la morale était dans le but, non dans les moyens. Sans doute, certaines conséquences ou plutôt certaines applications de sa doctrine ont trouvé quelques contradicteurs ; mais la doctrine elle-même a été respectée, et presque entière la presse a