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aidé à convaincre la France que la seule honnêteté était une conviction sincère, qu’une intention droite, par cela seul qu’elle était droite, était dégagée de tout devoir, parfaitement autorisée à tout ce qu’elle jugerait de nature à la mener à ses fins. Des conspirateurs et des colonnes élevées aux conspirateurs, des émeutiers récompensés et des émeutiers en expectative, de grandes intelligences qui en sont encore à avoir foi aux révolutions, et des consciences (j’oserai employer ce mot) qui honnêtement ne peuvent rien concevoir de plus méritoire que de combattre l’erreur à outrance et de recourir à la mauvaise foi, à la menace et au meurtre pour la bonne cause : telle est la récolte qui peut nous apprendre ce qu’ont été les semailles. Un fait du reste en dit plus que des volumes. On n’a qu’à se rappeler comment les premières magistratures du pays ont été accessibles à des hommes dont le mérite unique avait été de revendiquer pour chacun ce saint droit de l’émeute dont je parlais, le saint droit de ne point se soumettre au pacte social, à moins que cela ne lui plût, et d’en appeler à la force chaque fois qu’il le jugerait opportun.


III

En fin de compte, qu’est-ce à dire ? Qu’une fonction nécessaire à la vie n’a point été remplie en France. Nos révolutions ne signifient pas autre chose. Nous avons voulu être libres, et nous n’avons pas compris que dans un pays libre, c’est-à-dire dans une société gouvernée par l’esprit public, la grande tâche était de faire en sorte que l’esprit public fût capable de la bien diriger. Nos écrivains n’ont pas senti que, puisqu’ils voulaient être des hommes, il fallait d’abord qu’ils apprissent à prendre la vie au sérieux ; que, puisqu’ils voulaient être une partie du gouvernement, il fallait qu’ils se considérassent d’abord eux-mêmes comme des fonctionnaires responsables qui avaient accepté des engagemens. À côté d’eux d’ailleurs, nulle portion du public n’a assez nettement aperçu que l’intérêt et le devoir de tous étaient de juger chacun suivant son influence sur l’esprit public, de mesurer les récompenses et les punitions aux écrivains suivant leur valeur sociale. De même que les plus consciencieux, chez nous, ne voient pas de mal à frauder les douanes et les contributions indirectes, nos publicistes les plus remarquables n’ont point vu de mal à ne pas acquitter une dette d’un autre genre. Ils ont marché droit dans leur voie, un peu comme des antiquaires, un peu comme des hommes qui songeaient surtout à résoudre les problèmes attrayans pour eux ; ils n’ont pas eu le genre de conscience publique qui consiste à sentir que le talent oblige, que la