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l’école : l’honneur de ce progrès appartient surtout à Jacques Callot.

Il y a, dans l’histoire des arts, des noms auxquels la popularité demeure invariablement attachée, parce qu’au souvenir des talens de l’homme il se mêle un peu de l’intérêt qu’inspire le héros de roman ; le nom de Callot est un de ceux-là. Seul entre tous les graveurs français, dont quelques-uns lui sont si supérieurs, le graveur de Nancy est encore aujourd’hui connu de la foule ; et l’on peut supposer que, malgré le mérite réel de ses ouvrages, il doit à sa fuite de la maison paternelle, à son voyage en compagnie des bohémiens, aux agitations du reste de sa vie, la plus grande part de sa réputation. On a dit que Callot avait eu le mérite de tirer notre école de l’ornière où elle se traînait sans gloire et de lui frayer une voie nouvelle : ce ne fut pas cependant avec une entière indépendance et sans ressouvenir de l’Italie, où il s’était formé. Après avoir travaillé d’abord dans l’atelier de Canta-Gallina, dont la manière dégagée, le goût bizarre, ne pouvaient manquer de séduire le futur auteur des types de Francatrippa et de Fritellino, il avait été ramené à Nancy par son frère, dépêché à sa poursuite ; puis il s’était échappé de nouveau, se réfugiant cette fois à Rome, où sa famille le laissa soit de bon gré, soit de guerre lasse. Il est probable que, durant le long séjour qu’il y fit, il songea assez peu à étudier la manière des anciens maîtres, mais il dut se préoccuper fort de celle des prétendus maîtres contemporains. Urbain VIII régnait alors, et le temps était passé où les souverains pontifes n’encourageaient que les talens sévères. L’art était toujours en honneur, mais un art d’apparence facile et sans élévation. L’éclectisme énervant des Carrache, l’impuissante fécondité du Guide avaient donné cours aux qualités secondaires, et substitué dans la peinture l’agrément à la beauté. Il en était résulté un funeste envahissement de tendances frivoles qui devaient trouver leur expression la plus complète dans les œuvres du Joseppin, et un peu plus tard dans celles d’un artiste d’inclinations assez semblables à celles du graveur français, le fantasque Salvator Rosa. Lorsque Callot s’établit à Rome, Joseppin y avait déjà atteint le comble de la fortune et de la réputation, Salvator allait y obtenir ses premiers succès : il semble qu’en venant prendre à ce moment la place qu’il occupe encore entre les habiles et les excentriques, Callot ne pouvait arriver plus à point. Il ne tarda pas à acquérir une grande célébrité, tant par ses équipées de plus d’une sorte que par ses tableaux finement touchés ; puis, ses spirituelles eaux-fortes et son penchant à la raillerie aidant, il fut recherché à la fois par les connaisseurs et par les gens de plaisir. Menant joyeuse vie dans cette même ville où Poussin, un peu plus jeune que lui, passait ses jours dans le recueillement et dans l’étude, Callot s’abandonnait librement à sa verve et semblait ne voir dans l’art qu’un moyen d’amusement, dans les Malheurs de la