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droit, le plus généreux, le plus dévoué qu’on ait jamais rencontré sous le manteau d’un espion, cet espion fût-il le célèbre Harvey Birch de Fenimore Cooper.

Il serait un peu long d’expliquer comment l’altière lady Coke veut alternativement marier sa fille Florence à sir John Villiers et à George Ellicombe, comment celui-ci, qui soupçonne Florence Newport d’avoir une riche dot, ne veut point, par ce seul motif, et malgré les conseils intéressés de lady Ellicombe, sa mère, faire agréer à cette noble héritière l’amour dont il brûle secrètement pour elle ; par quels moyens Oliver Newport maintient son crédit et finalement gagne le procès d’où sa fortune dépend ; bref, comment nos quatre amoureux, séparés par une série de malentendus, se trouvent récompensés de leurs peines par un double hymen facile à prévoir. Ce peu de mots laissera parfaitement deviner quels sont les élémens d’intérêt de ce récit, historique si l’on veut, romanesque bien certainement ; mais ce qui, mieux encore que l’intérêt romanesque, recommande le livre en question, ce sont les détails qu’il renferme sur la cour de Jacques Ier, ainsi que sur la rivalité professionnelle de Coke et de Bacon. C’est là le côté sérieux et aussi le plus attrayant côté de cette chronique tant soit peu banale. Nous ne pouvons nous empêcher d’admirer, à ce propos, la persistance du génie britannique. Voici tantôt vingt ans que les volages Français ont dit adieu aux romans historiques, et, durant ces vingt années, il s’en est régulièrement publié sept ou huit au moins, chaque saison, dans la capitale du Royaume-Uni. Cependant la vogue les abandonne de plus en plus. Sir Edward Bulwer Lytton a pu s’en apercevoir, il y a trois ou quatre ans, lorsqu’il publia le Dernier des Barons, et mieux encore, lorsqu’après cet échec d’une œuvre laborieuse et savante, il obtint son plus grand succès avec le joli roman de mœurs intitulé : Les Caxton. Très décidément, ce qui prévaut aujourd’hui chez nos voisins, c’est le roman d’observation intime, les peintures d’intérieur. Là excellent. Dickens et Thackeray, plus populaires à coup sûr qu’aucun de leurs contemporains, et laissant bien loin derrière eux tous ceux des romanciers modernes qui vont chercher leurs sujets dans les annales de la Grande-Bretagne. Ce dédain de l’histoire, ce culte des réalités de la vie, ressemblent à un symptôme social. L’étudier et le comprendre est une tâche plus sérieuse que celle d’analyser vingt romans comme celui qui vient de nous occuper.




V. de Mars.