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des territoires du nord-ouest. Malgré la distance qui le sépare des grandes villes du Bas-Canada, cet établissement est mis en communication avec elles par cette large route que forment le Saint-Laurent, le lac Ontario, le lac Huron, le lac Supérieur et enfin le lac Winnipeg. Les rivalités qui faillirent le ruiner à son origine sont éteintes désormais, les deux compagnies ayant été réunies en une seule qui a pris le nom de Hudson’s bay fur company, compagnie des pelleteries de la baie d’Hudson. Plus au sud[1], sur la rive septentrionale du lac Supérieur, se trouve Fort-William, centre du commerce des fourrures. La compagnie canadienne, à qui appartenait ce comptoir important, y a construit des factoreries remarquables par leur étendue. Pendant tout l’été, Fort-William présente le coup d’œil d’une foire continuelle qui peut rivaliser avec celle de Kasan, et rappelle les marchés de Kiakta à l’époque du passage des caravanes russes. Français, Anglais, Suédois, Canadiens, métis de toute nuance, Indiens de toutes les tribus, Chipéways, Crees, Assiniboins, gens de l’Océanie, Africains, Bengalis, s’y donnent rendez-vous et s’y coudoient avec leurs costumes divers. Au contact de tant d’étrangers, la vie renaît comme par enchantement ; on fait de grandes affaires, on se réjouit, on se livre au plaisir pour oublier les fatigues de l’hiver. À cette époque, les employés de la compagnie doivent quitter leurs résidences respectives pour apporter au Fort-William le produit de leurs échanges, et nous laissons à penser s’ils se font prier pour se mettre en route !

Ainsi le génie commercial des nations européennes a créé là, au centre d’un continent presque désert encore, un immense bazar où la dépouille d’un rat musqué, pris au piège de l’Indien sous le cercle polaire, arrive à point nommé dans la main du marchand qui la vient chercher du fond de l’Europe et de l’Asie ! Un réseau de comptoirs fort éloignés les uns des autres couvre le pays ; un jour peut-être ces comptoirs deviendront le noyau d’établissemens permanens. Qui sait quelles richesses minérales renferment toutes ces montagnes inexplorées ? Qui sait si la nature, en compensation d’un si horrible climat, n’a pas doté ces contrées, comme la Sibérie, de trésors inépuisables ? Aujourd’hui, les peaux de bison, d’élan, de renne, les chaudes fourrures que produisent le renard, le lynx, le castor, la martre, sont les seuls articles d’exportation que l’homme tire de ces régions lointaines ; mais l’élément européen pénètre peu à peu au cœur même d’un monde inhabité : il en prend possession, il s’y prépare des points de refuge, des lieux d’émigration pour l’avenir, et il s’y fraie des routes que suivront avec espérance les générations futures.

  1. Entre le 48e et le 49e degré de latitude nord. Ainsi le vrai chemin pour se rendre à Fort-William comme pour aller à Red-River, c’est de traverser le Canada.