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commencemens pénibles. Il lui fallut d’abord reconnaître le pays qu’elle prétendait exploiter, ce qui l’obligea à diriger vers les mers glaciales plusieurs expéditions ; quelques-unes périrent sans laisser de traces, d’autres ne donnèrent que des résultats partiels ; toutes lui coûtèrent des sommes énormes. Enfin un voyage par terre fut résolu ; Hearne se chargea de l’entreprendre. Il découvrit la rivière de Cuivre, franchit le cercle polaire et pénétra le premier jusqu’aux bords de la mer arctique. Après lui vint Mackensie, qui compléta les découvertes de son devancier, donna son nom au grand fleuve qui sort du lac de l’Esclave pour se jeter dans l’Océan Glacial, et acheva de déterminer les points principaux des parties septentrionale et occidentale du continent américain. Tandis que la compagnie anglaise levait le plan de ses domaines, une entreprise rivale, établie à Montréal sous le nom de compagnie du nord-ouest, lui faisait une rude concurrence. Celle-ci avait à son service les rameurs canadiens ; elle était mieux située pour diriger ses agens et plus à portée de communiquer avec les factoreries qu’elle fondait de toutes parts. En 1810, la compagnie canadienne occupait plus de trois mille personnes, agens, facteurs et chasseurs ; la compagnie anglaise, réduite à rien, ne comptait pas trois cents employés de tous genres ; plusieurs de ses forts tombaient en ruine.

Un fait qui se passa en 1815 donnera une idée des rapports qui existaient entre ces deux associations de marchands. Lord Selkirk avait acheté, en 1811, de la compagnie de la baie d’Hudson, une certaine étendue de terrain, sur les bords de la Rivière-Rouge[1], non loin du lac Winnipeg, par le 52° degré de latitude. Trois à quatre cents Écossais l’y suivirent et fondèrent une petite colonie. La compagnie de Montréal en prit ombrage ; il semble pourtant qu’il y avait place pour quelques centaines d’émigrans au sein de ces solitudes inhabitées ! Des Canadiens voyageurs et des bois-brûlés, excités par les agens de cette compagnie, n’hésitèrent pas à attaquer à main armée la colonie naissante ; ils en dispersèrent les habitans et incendièrent leurs demeures. Cet acte de vandalisme donna naissance à un procès qui se jugea en Angleterre ; lord Selkirk, réintégré dans ses droits, put voir ses Écossais, renforcés par de nouveaux émigrans, reprendre leurs travaux si brusquement interrompus. En 1829, cette colonie, nommée Kilkonan ou Red-River (Rivière-Rouge), comptait mille habitans ; plus de deux mille acres de terrain avaient été convertis en terres labourables et en prairies. Aujourd’hui sa population s’élève à cinq mille ames ; on y a bâti un hospice où les malades et les infirmes sont confiés aux soins des grey nuns (soeurs grises) de Montréal ; la civilisation a donc trouvé un point où se fixer dans ces déserts. Red-River est devenu la capitale

  1. il ne faut pas confondre cette Rivière-Rouge avec la rivière du même nom qui arrose la Haute-Louisiane.