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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/1032

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le père Raimond, un bon et respectable prêtre espagnol, ces sauvages sont de bonnes âmes que Dieu prendra en pitié dans l’autre vie. »

Les sauvages que je rencontrai à la mission choisissent, pour y venir, le temps des têtes principales de l’année, qu’on célèbre à Cocabambilla, comme partout ailleurs au Pérou, par des danses autour des chapelles illuminées et par une grande consommation de chicha et d’eau-de-vie. Ils y passent ordinairement vingt-quatre heures, puis retournent à leur hameau, distant de Cocabambilla de trois journées de marche. Tadeo et sa troupe devant partir le lendemain, je résolus de les accompagner et le dis au père Raimond. Il me fit quelques observations, insista sur le peu de sécurité que présente le caractère des sauvages et sur les fatigues du chemin ; mais, comme il vit que c’était chez moi un parti pris, il eut l’extrême complaisance de se charger de la négociation auprès des sauvages. Quand le père Raimond leur expliqua chie je désirais les suivre à leur hameau, ils parurent se soucier fort peu de la proposition. « Les routes sont bien mauvaises, disait Tadeo, qui parle un peu l’espagnol ; le blanc sera forcé de faire une partie de la course à pied, et puis nous n’avons rien de bon à lui offrir. » Ce Tadeo craignait que mon voyage ne fût une exploration des terres de sa tribu, et comme, depuis quelques années, les sauvages commencent à planter des bananes, du maïs et des pommes de terre douces, l’idée que les blancs voulaient profiter de leurs défrichemens ne lui souriait pas du tout. Le père Raimond s’efforça de lui faire comprendra que je ne resterais pas à Cocabambilla et que j’allais partir pour l’Espagne, « pays bien loin, bien loin, où le soleil se couche, » et que j’apportais des haches, des couteaux, des colliers de verre et des piastres pour les récompenser, s’ils me traitaient bien. Ce dernier argument décida victorieusement la question, et, quand j’eus distribué à chaque Indien un réal sorti tout neuf de la monnaie de Cusco, il n’y eut plus qu’un gros rire joyeux et des grimaces de plaisir en mon honneur.

Escorté de mes étranges guides, je quittai Cocabambilla ; les hommes marchaient devant, leur arc et leur paquet de flèches sous le bras, et sur les épaules un sac dont les cordons leur passaient sur le front. Les femmes venaient ensuite, portant sur le dos leurs enfans et les différens objets achetés dans le village de la mission. Nous continuâmes à suivre la rive droite de la rivière Santa-Anna. Les montagnes s’abaissaient sensiblement, les arbres étaient plus hauts, les lianes plus vigoureuses ; de larges fleurs sauvages de toutes couleurs pendaient des buissons : c’était absolument la riche nature du Brésil. Notre première journée de marche fut courte, et nous nous arrêtâmes de bonne heure pour donner aux femmes le temps de nous rejoindre, puis nous couchâmes à la belle étoile. Le lendemain, sur les quatre heures, nous arrivâmes à Chawaris, au confluent de la rivière Santa-Anna et